Socrate, le philosophe qui ne savait rien

Cet article vous propose de comprendre comment le philosophe Socrate a révolutionné notre manière de penser. Découvrez sa biographie, sa méthode et son influence.

Publié le
3/12/25
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« Je sais que je ne sais rien » : cette célèbre maxime, qu’on associe presque automatiquement au philosophe Socrate, est devenue un symbole de l’histoire de la philosophie. Elle ne figure pourtant explicitement nulle part dans les écrits de Platon. Malgré cela, beaucoup y voient le meilleur résumé de la manière dont Socrate, figure emblématique de la philosophie grecque, abordait le savoir. Mais que voulait vraiment dire Socrate en affirmant qu’il « ne savait rien » ? Était-ce une vraie modestie, une stratégie pour déstabiliser ses interlocuteurs, ou un moyen pour faire émerger une vérité qui ne peut surgir que du dialogue ? Pour comprendre cette formule et ce qu’elle implique, nous vous proposons de plonger dans la vie et la pensée de Socrate. Nous évoquerons d’abord les moments clés de la biographie de Socrate pour mieux comprendre le contexte dans lequel ses idées ont trouvé naissance.

Puis, nous examinerons la célèbre méthode socratique, fondée sur le questionnement, la maïeutique et l’ironie. Enfin, nous replacerons sa démarche dans l’histoire de la philosophie, afin de mieux saisir l’influence que Socrate a laissée tant dans la philosophie grecque que dans la philosophie occidentale.

L’objectif : lever le voile sur Socrate, ce grand philosophe qui a profondément transformé notre manière de penser et qui n’a pourtant laissé… aucune œuvre.

Jacques-Louis David, La mort de Socrate, 1787

I. Courte biographie de Socrate : de soldat à philosophe

Origines et jeunesse de Socrate

Socrate naît à Athènes vers 470 av. J.-C., au cœur d’une cité en pleine activité intellectuelle et politique. Son père est sculpteur, sa mère sage-femme. Ces deux figures, souvent évoquées dans les sources antiques, façonnent l’image que Socrate donnera plus tard de lui-même, à la fois artisan de la pensée et « accoucheur » des esprits. Il grandit à Athènes, une ville où la démocratie se consolide et où la parole occupe une place centrale. Les débats publics y nourrissent d’ailleurs la vie quotidienne.

Socrate, citoyen et soldat durant la guerre du Péloponnèse

À l’âge adulte, Socrate ne vit pas en marge de la société : il accomplit ses devoirs de citoyen, notamment en participant à plusieurs campagnes militaires (Potidée, Délion ou Amphipolis) pendant la guerre du Péloponnèse. Dans leurs écrits respectifs, ses disciples Platon et Xénophon soulignent son courage et son endurance sur les champs de bataille. Cet aspect de sa vie, souvent occulté par son image de philosophe, montre un homme pleinement engagé dans la cité et non un penseur retiré du monde.

Un mode de vie simple, centré sur le dialogue

Dans sa vie de tous les jours, Socrate ne cherche ni le confort ni la richesse. Sa vie quotidienne tranche avec les habitudes des Athéniens aisés. Il se contente de peu et passe l’essentiel de son temps dans les rues et l’agora à discuter avec ceux qu’il rencontre.

Contrairement aux sophistes, il refuse d’être payé pour enseigner. Il ne prétend pas détenir un savoir à transmettre : il préfère pousser chacun à examiner ses propres idées. Sa présence, parfois jugée dérangeante (car il n’hésite pas à mettre en évidence les contradictions de ses interlocuteurs) attise autant la curiosité que l’agacement, parfois même l’hostilité.

Du procès de Socrate à sa condamnation à mort

Cette attitude finit par provoquer sa perte. En 399 av. J.-C., Socrate est accusé d’impiété et d’avoir corrompu les jeunes. Le procès, relaté par Platon dans son Apologie de Socrate, se solde par une condamnation à mort. Fidèle à ses principes, Socrate refuse de fuir ou de renier sa façon de vivre et de penser. Il accepte la sentence et boit la ciguë, restant jusqu’au bout fidèle à ses principes.

Comment la pensée de Socrate nous est parvenue

Mais alors qui était Socrate et quel était réellement son enseignement ? Comme Socrate n’a rien écrit, tout ce que l’on sait de lui vient d’auteurs qui l’ont côtoyé : Platon, Xénophon ou encore Aristophane. Or, chacun en donne un portrait différent et énigmatique, participant à la création du mythe de Socrate.

En effet, Aristophane le ridiculise dans sa comédie Les Nuées en sophiste malhonnête enseignant à ses disciples l’art de tromper, tandis que Platon et Xénophon en font un modèle de vertu, même si le portrait qui ressort de leurs œuvres présente aussi un certain nombre de différences.

Ainsi, l’absence d’écrits socratiques et la diversité des portraits dressés par ses contemporains participent au « mystère Socrate ». Un mystère qui correspond finalement assez bien à sa méthode philosophique fondée sur le dialogue, non sur l’écriture.

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II. La philosophie de Socrate : la « sagesse de ne pas savoir »

Ceux qui ont connu Socrate décrivent un homme qui passait son temps à questionner les autres pour comprendre ce qu’ils pensaient vraiment. Humble, il ne se présentait pas comme un maître qui transmet un savoir, mais plutôt comme quelqu’un qui cherche sans cesse. Sa philosophie commence donc par un geste simple : reconnaître ce que l’on ignore. Une anecdote l’a sans doute conforté dans sa démarche.

L’énigme de Delphes et la naissance de la méthode socratique

C’est de cette manière d’aborder le savoir que naît le paradoxe socratique : comment quelqu’un qui dit ne rien savoir peut-il être vu comme sage ?

On rapporte qu’un jour, l’oracle de Delphes aurait déclaré que personne n’était plus sage que Socrate. Intrigué, celui-ci aurait alors cherché à comprendre ce jugement divin. Pour éclaircir cette déclaration, il décide alors d’aller rencontrer ceux que tout le monde considère comme savants (politiciens, poètes, artisans).

Au fil de ces rencontres, il découvre un point commun : beaucoup s’expriment avec conviction, mais ne sont pas capables d’expliquer clairement ce qu’ils prétendent savoir. Socrate en arrive à cette conclusion : s’il est « le plus sage », ce n’est pas parce qu’il a plus de connaissances que les autres, mais parce qu’il fait preuve de plus de sagesse en acceptant de reconnaître ce qu’il ignore.

Voilà comment Socrate met au point sa méthode de raisonnement, faite de petites interrogations simples qui obligent l’autre à préciser ce qu’il croit évident.

Ainsi naît la méthode socratique : une façon d’avancer vers la vérité en questionnant, en traquant les idées reçues et en dévoilant les contradictions qui passent souvent inaperçues.

Ce que Socrate entend par ignorance

L’« ignorance » dont Socrate parle n’est donc pas un aveu de faiblesse. Lorsqu’il affirme qu’il ne sait pas, il rappelle seulement qu’on ne peut tenir aucune certitude pour acquise tant qu’elle n’a pas été mise à l’épreuve. Accepter de mettre en doute ce que l’on croit savoir n’est qu’un point de départ, pas un renoncement à la connaissance.

Deux formes d’ignorance

Socrate distingue deux formes d’ignorance :

  • l’ignorance simple et acceptée par l’interlocuteur
  • une ignorance plus dangereuse : celle où la personne pense croire qu’elle sait, alors qu’il n’en est rien.

C’est ce second type d’ignorance que Socrate cherche à débusquer au cours de ses discussions par ses questions, qu’il échange avec un politicien chevronné ou un poète renommé.

On le comprend, en réalité, ses questions ne visent pas à embarrasser ou à ridiculiser ses interlocuteurs, mais à les aider à découvrir les incohérences de leur raisonnement. Et donc à leur permettre d’acquérir un savoir authentique.

Une ignorance qui devient lucidité

Pour Socrate, admettre ses limites n’empêche pas de chercher la vérité. Au contraire, c’est la condition pour l’atteindre. Cette attitude n’a rien d’une fausse modestie : elle offre juste l’opportunité de réellement réfléchir et de revoir ses certitudes. Elle permet aussi d’apprendre à mieux se connaître pour mettre en application la célèbre injonction gravée au fronton du temple d’Apollon de Delphes : « Connais-toi toi-même ». Ainsi, pour le philosophe athénien, la sagesse ne doit pas viser à accumuler des connaissances. Elle exige une condition préalable : être lucide sur ce qu’on ignore encore.

L’ignorance socratique préalable à toute quête de vérité

Ainsi, l’ignorance revendiquée par Socrate n’est pas une faiblesse. C’est un moteur qui incite chacun à progresser, à se questionner et à transformer sa manière de penser.

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III. La méthode socratique

Socrate ne fait pas un cours magistral. Lorsqu’il s’adresse aux passants de l’agora, il n’a ni livre ni doctrine toute faite à transmettre. Sa « méthode » philosophique prend la forme d’une conversation, souvent simple en apparence, mais qui ne tarde pas à bousculer les certitudes de celui qui s’y adonne.

Car sa démarche consiste à questionner ses interlocuteurs pour tester la cohérence de leurs idées et de leurs connaissances. Idée, définition, conviction, tout est passé au crible de cette méthode appelée elenchos. Concrètement, il ne s’agit de rien d’autre que de l’art de mettre à l’épreuve une affirmation jusqu’à en révéler la solidité… ou la faiblesse.

Par ses questionnements, Socrate pousse son partenaire à remettre en question ce qu’il croyait savoir et à réfléchir plus profondément sur ses propres raisonnements.

La maïeutique : faire naître les idées plutôt que les transmettre

Pour expliquer sa démarche, la maïeutique (art d’accoucher les esprits), Socrate s’inspire volontiers du métier de sa mère. Socrate déclare ainsi ne pas vouloir transmettre de vérité, mais simplement vouloir, telle une sage-femme, aider son interlocuteur à faire émerger la vérité par lui-même.

Il commence souvent son questionnement par demander une définition, par exemple : « Qu’est-ce que le courage ? », « Qu’est-ce que la justice ? »... L’interlocuteur répond alors ce qui lui semble évident. Mais Socrate ne se contente pas de réponses toutes faites et d’a priori. Socrate explore les exemples et contre-exemples proposés. Chaque question oblige le locuteur à préciser ses pensées et à se rendre compte progressivement des failles de son raisonnement.

L’ironie socratique : avouer son ignorance pour mieux interroger

Un trait caractéristique de la méthode de Socrate est son ironie. Loin du sarcasme, l’ironie socratique consiste à faire preuve d’humilité face à un sujet de discussion. Cette attitude ne relève pas de la fausse modestie, et ne constitue pas non plus un piège. Elle vise simplement à permettre à l’homme avec lequel il dialogue de se sentir libre d’exposer ses idées avec assurance.

Cette liberté d’expression permet alors de faire surgir les limites de chaque raisonnement et les éventuelles contradictions. L’objectif est de faciliter la prise de conscience personnelle pour encourager l’accès à la vérité.

D’ailleurs, pour preuve de sa bienveillance, il faut savoir que Socrate adopte cette démarche non seulement avec ses interlocuteurs, mais aussi envers lui-même. Il se montre, en effet, totalement conscient de tout ce qu’il ignore et ouvert à apprendre.

Le but de la démarche socratique

On aurait tort de croire que Socrate cherche à mettre son interlocuteur en difficulté et qu’il cherche simplement à avoir raison.

Son objectif n’est pas de briller, mais d’inciter son interlocuteur à se remettre en question.

D’ailleurs, si les dialogues socratiques s’achèvent souvent par une aporia, un constat d’impasse qui peut se révéler frustrant, il ne s’agit en réalité que d’une étape : le point de départ d’une réflexion plus honnête et constructive.

La méthode socratique invite ainsi à penser par soi-même. Elle aiguillonne l’interlocuteur afin qu’il ne se contente pas d’idées toutes faites et cherche à comprendre le monde et lui-même d’une manière plus authentique.

François-André Vincent, Socrate enseignant à Alicibiade, vers 1776

IV. Socrate dans la philosophie grecque

Socrate et les sophistes : deux visions du savoir

À l’époque de Socrate, les sophistes occupent une place de choix à Athènes. Se présentant comme des spécialistes de la vertu, ils enseignent l’art de bien parler, de convaincre. Leurs leçons payantes promettent même de réussir dans la vie publique.

Socrate, lui, ne se reconnaît pas dans ces méthodes. Il refuse toute rémunération et ne garantit aucune « réussite ». Il préfère discuter librement et pousser chaque homme à se questionner et à réfléchir par lui-même. Contrairement aux sophistes, Socrate cherche surtout à réveiller l’esprit critique de ses interlocuteurs et ne propose pas de pensées prêtes à l’emploi.

Cette différence explique ses critiques à leur égard. Il leur reproche d’encourager des discours éloquents, mais vides de sens. Or, sa méthode vise justement à débusquer ce type de faux-semblants, de prises de paroles dénuées de raisonnement.

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Une influence qui s’étend bien après sa mort

Même sans avoir écrit une seule ligne, Socrate marque profondément la philosophie grecque. Ce rayonnement est notamment dû à Platon qui fait de lui le personnage central de ses dialogues. Dans ces écrits, Socrate apparaît comme celui qui interroge et met à l’épreuve les idées trop vite admises.

Après Platon, d’autres écoles s’inspirent de lui.

  • Les cyniques s’inspirent de sa manière de vivre frugale et de son exigence morale.
  • Les stoïciens retiennent surtout la valeur qu’il accorde à la qualité de l’âme et s’intéressent à sa quête de paix intérieure.

Grâce à lui, la philosophie devient avant tout une façon d’apprendre à penser par soi-même.

Un art de pensée qui se vit au quotidien

Pour Socrate, la philosophie n’est pas seulement une activité intellectuelle à l’occasion de dialogues : c’est une manière de vivre. Il invite chacun à interroger ce qui guide chacun de ses choix ou de ses décisions.

C’est dans ce sens qu’il prononce cette maxime : « la vie non examinée ne mérite pas d’être vécue ». Cette phrase résume parfaitement son exigence. Pour lui, mieux vaut une existence humble, mais réfléchie, qu’une vie brillante en apparence où l’on avance sans vraiment savoir pourquoi.

Ainsi, Socrate est devenu le symbole d’une philosophie qui cherche moins à briller par une argumentation stérile qu’à aider chacun à voir plus clair en lui-même.

Henri van Hulle, Buste de Socrate, 1885

V. Pourquoi la pensée de Socrate est-elle encore si vivante ?

Donner le goût de réfléchir : l’héritage socratique dans notre système scolaire

Si la méthode philosophique de Socrate nous semble si contemporaine, c’est parce qu’elle nous transmet une autre manière d’apprendre et de réfléchir. Elle peut être mise en pratique partout, et à chaque âge, car elle revient à poser des questions en apparence simples, mais qui obligent chacun à réfléchir vraiment. Pourquoi crois-tu cela ? Comment le sais-tu ?

Ce type de questionnement fait naître un réflexe salutaire : l’envie de comprendre par soi-même. Plutôt que de demander à retenir des réponses toutes prêtes, cette méthode d’apprentissage pousse les élèves à chercher, à expliquer et à justifier. C’est une manière d’apprendre qui développe la curiosité et l’autonomie, deux qualités dont on a plus que jamais besoin dans un monde saturé d’informations.

Une leçon de modestie utile au débat public

Socrate nous rappelle une vérité qui pourrait calmer bien des échanges : l’on ne sait pas tout et il importe d’accepter cet état de fait. Aujourd’hui, on donne son avis très vite, souvent en pensant détenir la vérité. Pourtant, appliquer la méthode de Socrate, c’est reconnaître qu’on a des limites, sans pour autant en faire une faiblesse. Au contraire, cela permet d’ouvrir la discussion et de la rendre plus respectueuse.

En effet, quand on commence une conversation en admettant que l’on peut se tromper, on écoute mieux et on débat autrement. Ce changement d’approche et d’état d’esprit permet ainsi de transformer un échange tendu en un vrai moment de réflexion.

Les critiques : Socrate, philosophe trop rusé pour être sincère ?

Bien sûr, la figure de Socrate ne fait pas l’unanimité et n’échappe pas aux débats. Certains pensent qu’il jouait un rôle et que sa prétendue ignorance servait surtout à déstabiliser ses interlocuteurs, à les mettre en difficulté, à les déstabiliser. D’autres mettent en évidence un problème plus délicat : on ne sait pas exactement où s’arrête Socrate et où commence Platon.

Ces réserves ne diminuent pas la portée de son message, mais elles rappellent qu’il faut garder un certain recul. Malgré tout, une chose demeure : sa manière de questionner continue d’inspirer les générations, car elle nous incite à réfléchir avec plus de rigueur et à ne pas confondre conviction et vérité.

Conclusion

Pour conclure, en revendiquant son ignorance, Socrate « le philosophe qui ne savait rien » invitait à questionner, à réfléchir et à ne jamais considérer comme acquis ce que l’on croit savoir. Sa véritable force résidait dans sa capacité à faire parler les autres et à faire naître la réflexion grâce au dialogue.

Sa méthode constitue son héritage philosophique, car elle nous invite à observer, à interroger et à remettre en cause nos certitudes. Vivre à la manière de Socrate, c’est encore aujourd’hui apprendre à penser par soi-même et à considérer que le doute n’est pas une faiblesse, mais bien une force.

Or, dans un monde saturé d’informations où chacun affiche ses certitudes en quelques clics, la leçon de Socrate se révèle précieuse. Elle nous rappelle qu’il est essentiel d’écouter vraiment, de dialoguer avec sincérité et de savoir faire preuve d’esprit critique pour approcher la vérité, plutôt que de se convaincre trop vite qu’on sait déjà.

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Crédit image : Jean-Simon Berthélemy, Socrate instruisant la jeunesse, 1784

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