Israël - Palestine : une paix juste est-elle possible ?

Publié le
8/4/24
No items found.

L’évolution récente du paysage politique et militaire au Proche-Orient et l’escalade de la violence entre Israël et la Palestine depuis le 7 octobre 2023 semble anéantir tout espoir d’une paix durable dans cette région. Les fondements d’une paix semblaient pourtant avoir été jetés dans le début des années 2000, notamment avec l’accord de Genève, signé en Jordanie le 23 octobre 2003 : un plan de paix alternatif élaboré par d'anciens responsables politiques et militaires des deux parties qui prouve qu’un compromis réaliste est de l’ordre du possible. Faut-il alors remettre sur la table les accords de Genève ? Quels chemins possibles vers la paix dans cette région ? Comment renouer le dialogue entre les deux parties belligérantes ? Et quel rôle accorder à la communauté internationale et au droit international humanitaire dans les négociations ? Entretien avec Alexis Keller, initiateur et négociateur des accords de Genève, membre de la gouvernance du CICR.

No items found.

Alexis Keller était l'invité du séminaire "Quelle science politique et morale pour le XXIe siècle ?" du département de recherche Politique et religions, dirigé par Antoine Arjakovsky. Ce séminaire explore les chemins possibles pour renouveler et transmettre une sagesse politique en quête du bien commun. Dans ce cadre, Alexis Keller s'est interrogé sur la compréhension de la "paix juste" dans un contexte international marqué par le terrorisme. 

Les années 90 et début des années 2000 connaissent une embellie des relations entre les parties belligérantes autour de la solution à deux Etats. Comment expliquer l’absence de succès de ces initiatives, notamment les échecs des accords d’Oslo ?

Dès 1993, plusieurs initiatives prometteuses sont lancées pour résoudre le conflit israélo-palestinien : les accords d'Oslo aboutissent à une reconnaissance mutuelle de l’OLP et d’Israël en septembre 1993. Le 23 décembre 2000, Israéliens et Palestiniens acceptent d’examiner les propositions, soumises par le président Clinton, pour instaurer une paix durable. S’ils n’ont pas pu aboutir à un accord à Taba en janvier 2001, les paramètres Clinton et les accords d’Oslo demeurent remarquables en ce qu’ils marquent un point de rapprochement encore jamais atteint : ils ouvrent une négociation fondée sur le respect du droit international et la solution dite « des deux États ». Mais la négociation « finale » à Camp David n’aboutira pas. Ni celle à Taba (2001).

Les paramètres Clinton et les accords d’Oslo demeurent remarquables en ce qu’ils marquent un point de rapprochement encore jamais atteint : ils ouvrent une négociation fondée sur le respect du droit international et la solution dite « des deux États ».

Pourquoi cet échec ?

Essentiellement pour deux raisons. Tout d’abord, les attentats du 11 septembre ont un impact considérable sur le processus de paix. Les Américains commencent leur « guerre contre le terrorisme » et le premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, devient un allié important des Etats-Unis dans cette guerre. De même que les Saoudiens qui proposent tout de même en 2002 d’appliquer le principe « la terre contre la paix » pour résoudre le conflit palestinien. Sans succès.

En 2003, l’administration Bush lance la « feuille de route » qui propose une approche par étape pour parvenir à la création d’un État palestinien. Cette « feuille de route » est acceptée par l'Autorité palestinienne - mais uniquement par l'OLP et pas par le Hamas - et par les Israéliens, qui formulent tout de même 14 réserves. Elle est basée sur le principe de la conditionnalité – la mise en œuvre complète de la première phase est la condition pour lancer la seconde phase et ainsi de suite… Aussi, cette approche se révèle être une impasse.

Tandis que Rabin voulait résoudre le problème palestinien pour pouvoir combattre l'Iran, Netanyahu veut d’abord combattre l’Iran et parvenir à un accord de paix avec les pays du Golfe avant de résoudre le conflit israélo-palestinien.

L'arrivée au pouvoir de Barack Obama est certes porteuse de grands espoirs. De nouveaux pourparlers directs entre Israéliens et Palestiniens ont brièvement eu lieu, ainsi qu'un arrêt de la construction de colonies pendant neuf mois. Mais il n'y a plus de tentatives vraiment sérieuses de mettre en œuvre la solution des deux États. Les Américains sont occupés par l'Afghanistan, l'Irak et l'Iran. En 2013 - 2014, le plan Kerry est encore lancé, mais sans succès. Et l'accord sur le nucléaire conclu avec l'Iran en 2015 entraîne un changement fondamental de stratégie chez les Israéliens. Netanyahou arrive à la conclusion inverse de celle de Rabin 30 ans avant lui : tandis que Rabin voulait résoudre le problème palestinien pour pouvoir combattre l'Iran, Netanyahou veut d’abord combattre l’Iran et parvenir à un accord de paix avec les pays du Golfe avant de résoudre le conflit israélo-palestinien. La solution à deux États est alors définitivement enterrée. Il s'agit de gérer la question palestinienne sans la résoudre.

La seconde raison de cet échec est liée à l’approche – à la méthode – choisie pour négocier (...) Cette approche par processus et par étapes progressives empêche d’avoir un horizon politique clair, celui de la paix !

Le massacre du 7 octobre a clairement montré les limites d’une telle stratégie : la question palestinienne est revenue au centre de l’échiquier politique et la solution des « deux États » est à nouveau discutée.  

La seconde raison de cet échec est liée à l’approche – à la méthode – choisie pour négocier. Depuis les accords d’Oslo, on parle toujours de « processus » de paix sans jamais aborder les questions difficiles, celles qui sont les plus compliquées à résoudre. On définit un processus sans jamais parler du résultat final. Cette approche par processus et par étapes progressives empêche d’avoir un horizon politique clair, celui de la paix !

Quelle était l’ambition des Accords de Genève en 2003 et quelles sont les avancées permises par cette initiative ?  

L'idée de base était très simple : comme je l’ai dit, la feuille de route et le processus d'Oslo étaient basés sur l’idée qu’il fallait commencer par définir un processus qui permette de se rapprocher progressivement du statut final, sans donner le moindre détail sur ce statut final. Cette méthode n’a jamais fonctionné. C'est pourquoi, dans les discussions qui ont mené à l’Initiative de Genève, les négociateurs israéliens et palestiniens ont choisi la méthode inverse. Ils ont commencé par la fin, c’est-à-dire négocier d’abord un accord définitif. Ensuite, ils ont discuté du processus qui mette en œuvre cet accord définitif.

Cette initiative de paix avait donc deux objectifs : mettre en œuvre les paramètres Clinton et adopter une autre méthode de négociation.

Cette initiative de paix avait donc deux objectifs : mettre en œuvre les paramètres Clinton et adopter une autre méthode de négociation. C’est la raison pour laquelle l’accord signé est très détaillé. Il s’attaque à tous les problèmes - Jérusalem, sécurité, frontières, réfugiés – des soucis non réglés à Camp David (2000) et à Taba (2001). Cet accord repose sur quatre principes :

1)    La reconnaissance officielle de deux États indépendants, l’État de Palestine étant démilitarisé.

2)    Le renoncement du « droit au retour » des Palestiniens dans l’État d’Israël, assorti d’une indemnisation financière pour chaque famille de réfugiés. Un « droit au retour » est possible, mais dans l’État de Palestine nouvellement créé.

3)    Un retrait israélien d’environ 90% territoires occupés, avec un échange de territoires pour les 10% manquants. Ce qui permet à Israël de conserver plusieurs colonies jugées importantes sur le plan de la sécurité.  

4)    Une souveraineté « partagée » sur Jérusalem, fondée sur les paramètres Clinton.

Les accords de Genève présentent une opportunité historique tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens. Ils offrent aux Israéliens la possibilité de s'intégrer pleinement au Moyen-Orient. Pour les Palestiniens, ces accords offrent la possibilité de construire leur propre État.

Suite aux Accords de Genève, vous publiez en 2006 (réédition en 2010) What is just peace, dans lequel vous élaborez une théorie de la paix. Qu’est-ce qu’une paix « juste » et quels sont les chemins pour aboutir à une paix durable ?

Au préalable, il est essentiel de comprendre que la notion de « paix juste » ne se réfère pas nécessairement à une définition préétablie de la justice. En ce sens, une paix juste ne peut pas être « imposée d’en haut », dans l’abstrait, par un raisonnement hypothético-déductif. Elle doit être comprise comme un processus construit par les parties qui négocient, en intégrant la multiplicité des visions du monde qui, souvent, s’affrontent.

La théorie de la « paix juste » que je défends propose une approche pragmatique qui vise à créer un cadre durable pour la résolution des conflits, en tenant compte des réalités politiques et sociales spécifiques à chaque contexte.

Selon moi, toute paix juste – ou perçue comme tel par les acteurs du
conflit – repose sur quatre critères : la reconnaissance mutuelle, dans ces deux dimensions thin et thick, comme disent les anthropologues, le renoncement et la règle (je préfère le terme anglais de « rule ») dont l’objectif est de trouver un langage normatif commun. Ce dernier critère est essentiel dans un conflit intrinsèquement culturel comme le conflit israélo-palestinien.

En somme, la théorie de la « paix juste » que je défends propose une approche pragmatique qui vise à créer un cadre durable pour la résolution des conflits, en tenant compte des réalités politiques et sociales spécifiques à chaque contexte. Ce qui signifie trois choses :

1.    Restaurer la dimension éthique – notamment le principe d’équité – dans le droit international afin de dépasser l’analyse légaliste (« est-ce conforme au droit ? ») ou l’argument utilitariste (« est-il utile de faire la paix ? »).

2.    Rendre possible la négociation entre acteurs asymétriques (faible – fort), entre acteurs ayant un statut juridique différent (acteur étatique et acteur non-étatique) ou entre acteurs provenant de cultures radicalement différentes.

3.    Construire une théorie qui repose aussi sur la pratique de la négociation. De ce point de vue, cette théorie est utile car elle oblige les dirigeants politiques etmilitaires à assumer leurs responsabilités et à ne pas imputer l’échec d’une négociation à l’autre partie en conflit.

 

Au regard de l’évolution de la situation géopolitique depuis 2003, quels sont encore aujourd’hui les obstacles à la paix ? La solution à deux Etats, remise sur le devant de la scène internationale depuis le 7 octobre comme vous le souligniez, est-elle encore envisageable ?

Le problème est en fait assez simple : lorsque deux peuples se disputent un territoire, il n'y a que trois options possibles. Soit l'un des deux peuples détruit l'autre, ce qui constitue une forme d'extermination. Soit l'un des deux peuples chasse l'autre. Ou bien les deux peuples trouvent ensemble une solution qui ne repose pas sur la domination de l'un sur l'autre.

Les pays voisins ne sont pas prêts à accueillir des réfugiés palestiniens et, comme on le voit aujourd’hui, l’utilisation massive de la violence trouve ses limites dans la communauté internationale. Reste donc la troisième option : Israël et l'Autorité palestinienne doivent parvenir d'une manière ou d'une autre à une solution négociée.

Le gouvernement israélien actuel ne souhaite pas donner un horizon politique aux Palestiniens.

Les obstacles actuels à la résolution du conflit israélo-palestinien sont nombreux et complexes, mais, aujourd’hui, il y a surtout un manque de volonté politique des principaux acteurs impliqués :

La politique de Netanyahou, marquée par une orientation sécuritaire et un soutien affirmé aux colonies israéliennes, témoigne d'un désintérêt manifeste pour la recherche d'une solution pacifique. La raison étant que son avenir politique est étroitement lié à cette guerre ! Une fois la paix établie, son gouvernement lui sera enlevé. Cette réalité politique entrave toute tentative sérieuse de mettre en œuvre la solution dite « des deux États ».

La droite israélienne ne peut pas adhérer à cette solution car dans sa ligne politique, la question de la terre est largement plus importante que celle de la paix. Le gouvernement israélien actuel ne souhaite pas donner un horizon politique aux Palestiniens.

Certes, certains Palestiniens soutiennent le Hamas, mais c’est plus par rejet de l’Autorité palestinienne que par adhésion à une idéologie mortifère.

L’opinion publique palestinienne, elle, a connu un renversement depuis 1948. Si elle a longtemps contesté l’existence de l’État d’Israël, depuis les accords d’Oslo, elle est pleinement disposée à accepter la coexistence de deux Etats. Certes, certains Palestiniens soutiennent le Hamas, mais c’est plus par rejet de l’Autorité palestinienne que par adhésion à une idéologie mortifère.

L’opinion et la ligne politique occidentale face au terrorisme est celle très ferme depuis 2001, d’un refus du dialogue avec le terrorisme. Nous faut-il renoncer à ce principe et dialoguer avec le Hamas pour construire une paix durable ?

C’est toute la question de savoir si l’on peut « négocier avec le diable ». Le terrorisme est toujours un frein pour processus de paix. Mais l'histoire montre qu'il est possible de contourner cette difficulté. Comme le disait Isaac Rabin : « Il faut combattre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de négociations et négocier comme s'il n'y avait pas de terrorisme ».

« Il faut combattre le terrorisme comme s'il n'y avait pas de négociations et négocier comme s'il n'y avait pas de terrorisme ». (Isaac Rabin)

Dans ce contexte, je voudrais rappeler une vieille anecdote. En 1946, les groupes paramilitaires juifs Irgoun et Stern ont perpétré un attentat à la bombe contre l'hôtel King David à Jérusalem, qui abritait le centre administratif de la puissance mandataire britannique. Le bilan des victimes fut dévastateur : 91 morts. David Ben Gourion, le chef de l'Agence juive qui collaborait avec la puissance mandataire, fut alors cité par les Britanniques et exhorté en termes très durs : « Nous vous avons donné un foyer national pour le peuple jui fen 1917 avec la déclaration Balfour, et le résultat est que vous tuez la moitié de nos officiers en Palestine ». Ben Gourion a donné la fameuse réponse qui me semble toujours d'actualité dans ce conflit : « Donnez-moi un État, et je m'occuperai de mes terroristes », et c'est exactement ce qu'il a fait. Après la création de l'État d'Israël, les groupes Irgoun et Stern ont été intégrés à la Hagannah - et il n'y a plus eu d'attentats. Bien sûr, la situation est différente aujourd'hui. Mais sur le fond, le problème est le même: la seule façon de priver le terrorisme du Hamas de son soutien populaire est d’offrir une perspective politique aux Palestiniens.

Aujourd'hui, le Hamas a deux sources de légitimité : le fondamentalisme religieux et son rôle d'unique défenseur des aspirations à l'indépendance palestinienne. S'il ne reste que le fondamentalisme religieux, le Hamas perdra beaucoup de sa légitimité.

 La seule façon de priver le terrorisme du Hamas de son soutien populaire est d’offrir une perspective politique aux Palestiniens.

Croyez-vous à la possibilité d’une mobilisation plus grande de la société israélienne et à un renouveau du dialogue israélo-palestinien pour mettre en œuvre un cessez-le-feu, ou cela ne peut-il passer que par une pression internationale ?

J’ai le sentiment que les lignes politiques sont en train de bouger. Face aux atrocités commises par le Hamas et à l'impossibilité de cohabiter avec les Palestiniens, l'idée d'une séparation stricte des deux peuples a repris de l'importance. En outre, de nombreux Israéliens s'inquiètent de l'état de leur propre démocratie : l’occupation devient de plus en plus difficile à justifier et de moins en moins compatible avec l’idée même d’un État de droit.

La nature intrinsèquement asymétrique du conflit israélo-palestinien nécessite sans doute la tenue d’une conférence internationale pour résoudre la question palestinienne. L’ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi a dit un jour : « Aidez-nous à divorcer ! » Cet appel est, selon moi, toujours d'actualité. Pour des raisons différentes, les deux parties ne sont pas en mesure de faire des concessions. Deux puissances peuvent les y aider : les États-Unis et l'Arabie saoudite. Les premiers, pour exercer une influence sur les Israéliens, les seconds, avec le Qatar et l’Égypte, pour entraîner les Palestiniens.

La nature intrinsèquement asymétrique du conflit israélo-palestinien nécessite sans doute la tenue d’une conférence internationale pour résoudre la question palestinienne.

Reste la question de savoir qui, du côté palestinien, devrait être invité à cette conférence car je ne pense pas que l'Autorité palestinienne ait encore suffisamment de crédibilité pour « imposer » un compromis à sa population. L’une des pistes possibles est de libérer Marwan Barghouti, qui est emprisonné en Israël, mais qui compte parmi les leaders palestiniens les plus populaires. Il maîtrise parfaitement l'hébreu et aurait l'autorité nécessaire pour impliquer les Palestiniens dans une solution de paix raisonnable.

Enfin, vous êtes membre de la gouvernance du CICR. En quoi le droit international humanitaire peut-il être un premier pas pour un accord politique ?

Le droit international humanitaire est ce socle commun qui rend possible les négociations et la construction d’une paix durable, en ce qu’il n’est pas sujet à l’interprétation. Il est reconnu par tous les États signataires des conventions de Genève, y compris par de nombreux acteurs non-étatiques, et le CICR en est le gardien.

Le droit international humanitaire est l’un des derniers moyens pour préserver un dialogue entre belligérants car il est fondé sur les principes de dignité, d’humanité et d’impartialité.

Il donne un cadre pour permettre aux civils d’être protégés et de survivre sur le champ de bataille. Le droit international humanitaire est l’un des derniers moyens pour préserver un dialogue entre belligérants car il est fondé sur les principes de dignité, d’humanité et d’impartialité.

Crédits photo: @Yuliia Bukovska

No items found.
Saviez-vous que près de la moitié des ressources du Collège des Bernardins provient de vos dons ?

Les Bernardins sont une association à but non lucratif qui vit grâce à la générosité de chacun d'entre vous. Votre don soutient notre vocation : promouvoir un dialogue fécond au sein de notre société. Je donne