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Théologie

Tertullien : Entre génie et hérésie, le père controversé de la théologie latine

Publié le
9/4/24

Il n’est pas canonisé et il a même largement sombré dans l’hérésie la plus odieuse. Cependant son génie est si éclatant, sa fougue si percutante et sa contribution à la théologie latine si décisive que l’on n’hésite pas à ranger Tertullien parmi les Pères de l’Eglise.

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Qui sont réellement les Pères de l'Église, ces défenseurs ardents de la foi chrétienne dont l'influence perdure encore aujourd'hui ? Dans cette série, explorons avec le père Guillaume de Menthière les figures emblématiques des premiers temps du christianisme, de Saint Ignace à Saint Grégoire le Grand, en passant par Tertullien.

Avec Tertullien, la théologie passe du grec au latin. Le brillant avocat de Carthage fait à l’Eglise un don considérable : celui d’un dictionnaire. Nous saisissons dans ses œuvres la langue théologique latine à son berceau, une langue ouverte, frétillante de néologismes, de jeux de mots, de rimes, d’allitérations. Il possède une qualité rare chez les théologiens : il ne parvient jamais à être ennuyeux. Truculents presque toujours, ces textes n’en sont pas moins profonds bien souvent.

Son influence fut considérable. Saint Jérôme rapporte que saint Cyprien évêque de Carthage, se faisait apporter chaque jour les œuvres de son compatriote en disant : Da Magistrum (apportez le Maître).

Tertullien naît à Carthage vers 155 dans une famille païenne dont le père est centurion. Il fait de brillantes études de droit romain et acquiert une érudition immense. Ses facilités lui permettent durant sa jeunesse de « vider jusqu'à la lie la coupe des plaisirs ». Nature ardente et fougueuse, il se plait aux spectacles grossiers et barbares de la scène, du cirque et de l'amphithéâtre. Il avouera plus tard combien il a ri aux spectacles des chrétiens livrés aux supplices ! Or c’est ce spectacle précisément qui devait amener sa conversion. Il fut frappé en effet de l’héroïque constance des martyrs. Ils allaient à la mort en chantant des hymnes à leur Dieu ! Tertullien comprit que plus on persécutait les chrétiens, plus leur nombre augmentait. Telle est l’origine de sa célèbre maxime: "Le sang des martyrs est semence de chrétiens".

Touché par le témoignage des martyrs, Tertullien devient chrétien en recevant le baptême en 193, soit vers 38 ans. « On ne naît pas chrétien, on le devient » déclare-t-il dans un autre de ses fameux aphorismes. Tertullien est marié. Il écrit même un livre à sa femme (Ad Uxorem). Est-il devenu prêtre par la suite ? La question est disputée.

La fougue du nouveau converti l’entraîne vers toujours plus d’intransigeance et d’exaltation. Dès 202 ses écrits commencent à se ressentir des influences de Montan. Cet hérétique avait fondé une secte de purs et de « spirituels », méprisant la trop conciliante et charnelle Église. Poussé par son caractère emporté Tertullien en rajouta encore jusqu’à fonder vers la fin de sa vie sa propre secte encore plus rigoriste : les Tertullianistes.

D’après saint Jérôme, Tertullien vécut jusqu'à un âge très avancé (usque ad decrepitam aetatem). Faut-il chercher là une excuse pour ce grand génie qui a misérablement sombré dans l’hérésie ? Après avoir défendu l'Église, il se tourna contre elle, parce qu'il la trouvait trop indulgente, trop conciliatrice, trop laxiste. Est-il mort martyr comme il le souhaitait ? On ignore tout de ses dernières années et de sa fin. Il nous reste son œuvre, immense et d’une richesse inouïe. « Multa scripsit volumina » dit laconiquement saint Jérôme –On trouve chez lui le premier emploi du mot latin Trinitas, la Trinité (dans l’Adversus Praxean), le plus ancien traité sur un sacrement (De Baptismo), le premier commentaire du Notre Père (De Oratione)… On peut classer les écrits du carthaginois en trois catégories :

1) Les écrits apologétiques où l’Avocat déplore qu’on puisse être arrêté pour le seul motif qu’on s’est avoué chrétien : « ce n’est pas là le nom d’un crime, c’est le crime d’un nom ! » Il pose les fondements de la liberté religieuse : « Il est contraire à la religion de contraindre à la religion, qui doit être embrassée volontairement et non par force ». Dans l’Apologeticum Tertullien fournit un témoignage historique irréfutable sur les terribles calomnies dont les chrétiens étaient les victimes : infanticides, incestes, orgies, etc. A l’encontre de ces injustes accusations Tertullien dresse un tableau émouvant des assemblées chrétiennes dans l’Afrique du IIe siècle : « C'est surtout cette pratique de la charité qui nous imprime une marque spéciale : “Voyez, dit-on, comme ils s'aiment les uns les autres ” »

2) Les écrits de controverses où le théologien africain est aux prises avec des hérétiques de toutes sortes. On retiendra l’immense Adversus Marcionem. Contre Marcion qui méprise tout ce qui est charnel, notre rhéteur exalte la réalité de l’Incarnation du Christ et la bonté de la Création qu’il chante en poète : « Que je t’offre une rose et oseras-tu calomnier encore le Créateur ? (…) Quoi ! tu veux que Jésus-Christ rougisse de la chair qu'il a bien voulu racheter, et tu veux figurer indigne de Dieu ce qu'il n'eût pas racheté s'il ne l'eût aimé d'un amour tout singulier ? ».

3) Ouvrages de morale et d'ascétisme. Ce sont les ouvrages à la fois les plus édifiants et les plus sujets à caution. Ne citons que le célèbre De cultu feminarum un traité sur la toilette des femmes plus drôle que pieux. On croirait lire du Molière ! Tertullien y proscrit pour ces dames toutes sortes de fards ainsi que les vêtements de couleurs. Pourquoi, en effet, teindre la laine ? Si Dieu l’avait voulu il aurait fait naître les brebis de couleur pourpre ou de toutes autres teintes ! Pour dérisoires qu’ils nous paraissent ces arguments doivent être resituées dans le contexte de la persécution : « Or je ne sais, confie Tertullien, si des mains accoutumées aux bracelets pourront soutenir la pesanteur des chaînes. ». La perspective du martyre redonne toute leur force à des conseils qui n’ont d’ailleurs pas tous perdu de leur pertinence : « Plus on s'efforce de cacher sa vieillesse, plus elle se découvre, écrit par exemple notre moraliste, Voulez-vous ne vieillir jamais ? Conservez votre innocence baptismale ! »

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Crédit photo : @Sedmak

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