Que doit-on encore à son pays ?

Publié le
2/4/24

L'idée que l'on a des devoirs envers son pays est-elle obsolète ou bien toujours actuelle, et dans ce cas comment la réhabiliter ? Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, professeure au Conservatoire national des arts et métiers, professeure associée à l’École des Mines et directrice de la chaire de philosophie à l'Hôpital Sainte-Anne, échange avec le philosophe Pierre Manent, spécialiste en philosophie politique et directeur d'Études à l'EHESS au centre de recherches politiques Raymond Aron.

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L’obéissance à la loi est-elle une servitude ?

L’idée d'obligation liée à la chose commune semble en discrédit aujourd’hui. Notre époque admet difficilement le principe selon lequel vivre en société implique l'obéissance à certaines règles. Cette notion est associée aujourd'hui à de la servitude, de la soumission.

Pourtant, nous ne vivons pas isolés dans la société. Nous sommes tous reliés les uns aux autres et les membres d'un corps politique. Telles sont les conditions nécessaire au bien commun. Cela fait d'autant plus de nous des êtres responsables lorsque nous sommes les membres d'une démocratie, et donc des citoyens. Il semble alors indispensable que chacun s'astreigne à respecter un certain nombre d’obligations pour assurer le bon fonctionnement de la collectivité.

« La notion de devoir ou de doit n’est pour moi pas la meilleure manière d’entrer dans la vie pratique. Les deux notions qui le permettent sont d’abord le bien, et ensuite la règle ». (Pierre Manent)

Le devoir, un choix libre ?

Le service ou le respect du bien commun ne semblent pas pouvoir faire l'économie de la subordination consentie à un ensemble de normes qui imposent des limites à notre liberté. En effet, une vie commune sans loi, sans règles ni devoirs minimums ne semble guère possible, ni souhaitable.

La notion d’obéissance à des normes collectives n'implique donc pas l’abdication de sa liberté individuelle, mais peut au contraire représenter un choix librement consenti, l’acceptation du fait que cette liberté n’a de sens que parce qu'elle m’oblige.

« Un devoir est quelque chose de structurant » (Cynthia Fleury)

La loi : une dimension purement politique ou une donnée morale ?  

Cette loi qui m’oblige et que je choisis ne se limite pas à ce que produit l’ordre politique. On doit la concevoir à travers une perspective plus large, qui dépasse les impératifs immédiats de la société et s’élargit à la subordination envers une loi morale générale.  

« C’est une chose de considérer que la loi politique est une construction, c’en est une autre d’avoir un rapport transcendantal à la loi et de se dire que de toutes façons, la question d’un rapport notamment moral à la loi, qui n’est pas déterminé par les impératifs du moment, vaut. » (Cynthia Fleury)

Un autre problème de taille se pose aujourd’hui : l'articulation de la notion d'obligation morale à l’aune des enjeux de notre temps, entre autres la crise environnementale. Cette dernière pourrait bien nous imposer de nouvelles contraintes et doit en tout cas nous pousser à concevoir la notion de devoirs envers la Terre et le vivant.

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