Art et Culture

La Visitation, de Saint Luc à Paul Claudel

Publié le
27/11/23

La Visitation : un texte (trop) connu ? La rencontre de Marie et Elisabeth, toutes deux enceintes, narrée par Saint Luc dans son évangile, est enrichie au fil des époques de nombreuses représentations picturales et littéraires. Les artistes offrent par la diversité de leurs œuvres autant d'occasions de méditer sur la joie de cette double rencontre, à la charnière de la Nouvelle Alliance ! A l'occasion de l'Avent, nous scrutons la Visitation avec la bibliste et enseignante Claire Burkel, nous la contemplons dans l'art, et nous touchons à son mystère par les mots de Paul Claudel.

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Dès que l'ange Gabriel l'eut quittée, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse dans une ville de Juda. Elle entra chez Zacharie et salua Élisabeth. Et il advint, dès qu'Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, que l'enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie de l'Esprit saint. Alors elle poussa un grand cri et dit : "Bénie es-tu entre les femmes et béni le fruit de ton sein ! Comment m'est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? Car, vois-tu, à l'instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l'enfant a tressailli en moi. Oui, bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur !". Marie chanta alors : "Mon âme exalte le Seigneur et mon esprit tressaille de joie en Dieu mon sauveur !"
(Lc 1, 39-45) 

Le commentaire de Claire Burkel, bibliste et enseignante.

Superbe récit d'une rencontre joyeuse entre deux femmes enceintes. Celle qui se croyait trop âgée pour enfanter, et celle qui a cru à l'inédit, à ce que les Écritures n'avaient encore jamais révélé. Celle qui était l'épouse respectée du prêtre Zacharie, l'homme incrédule dont la mémoire mal ajustée s'était lassée peut-être de l'attente inassouvie, et celle qui partageait avec son fiancé Joseph l'espérance folle d'Israël.

On est ici à la charnière entre l'Ancien et le Nouveau Testament, terme latin qui signifie tout simplement Alliance.

La plus jeune qui marche vite pour se mettre sans tarder au service de sa parente âgée, et l'autre en sa maison qui accueille le tressaillement de l'Esprit et lui donne sa voix. Élisabeth, dont le nom en hébreu signifie mon Dieu est plénitude, répond de toute son âme à sa vocation : reconnaître et embrasser celle qui porte le Promis attendu par tout un peuple.

On est ici à la charnière entre l'Ancien et le Nouveau Testament, terme latin qui signifie tout simplement Alliance. Rien de l'Alliance conclue avec les patriarches et Moïse n'est aboli, mais elle va se vivre de façon entièrement nouvelle, renouvelée. Une charnière c'est une articulation, sans fermer de porte. Il faut qu'elle soit bien huilée, souple, qu'elle ne grince pas.

Marie ne s'est pas arrêtée à sa propre joie, l'émotion ne l'a pas interdite. Rapidement elle s'est mise en route vers celle qui en avait besoin

Dans la joie d'avoir conçu un "heureux événement" toute future mère est sensible à ce qui est don. La vie qui grandit en elle, son corps qui accompagne cette fragile croissance, les forces qui lui sont données pour porter jusqu'au bout l'être nouveau, la voix de son âme qui chante à celui qui naîtra bientôt.

Marie ne s'est pas arrêtée à sa propre joie, l'émotion ne l'a pas interdite. Rapidement elle s'est mise en route vers celle qui en avait besoin et c'est sa parente qui, sans avertissement, a confirmé la vie divine présente en sa jeunesse.

Retrouvez les enseignements de Claire Burkel au Collège des Bernardins : Les plus beaux cours du Nouveau Testament (dès février 2024). 

Pour en savoir plus, la Visitation expliquée par PRIXM, le média qui vous fait redécouvrir la Bible !

La Visitation en peinture

La représentation de la Visitation, épisode intime de la vie de Marie, est un thème iconographique très riche. 

Elle souligne presque toujours le geste symbolique de l’embrassade, qui vient du grec aspasmos, mot désignant aussi une forme particulière de dévotion aux icônes. En reconnaissant Marie comme mère de Dieu, "Elisabeth marque la reconnaissance de la Nouvelle Alliance par l’Ancienne, ou du christianisme par le judaïsme." (D'après A-M Velu, La Visitation dans l'art. Orient et Occident Ve - XVIe siècle, Editions du Cerf, 2012). 

L'ancienne sacristie du Collège des Bernardins abrite un bel exemple de représentation de La Visitation, exposée jusqu'au 16 décembre 2023 dans le cadre de l'exposition patrimoniale !

Ce tableau (ci-dessous), considéré jusque maintenant comme une production italienne de la fin du XIVe siècle, serait en réalité une œuvre espagnole, proche du foyer artistique de l'Escurial au début du XVIIe siècle. Le premier plan illustre le moment où Elisabeth, remplie de l'Esprit-Saint, s'exclame "Tu es bénie entre toutes les femmes et béni le fruit de ton sein!". Quatre figures encadrent la rencontre : Salomé portant le chef de saint Jean-Baptiste, sainte Catherine d'Alexandrie et les saints Pierre et Paul.

Avez-vous remarqué que le ventre de Marie est plus rond que le ventre de sa cousine, pourtant bien plus avancée dans sa grossesse ? Un choix iconographique rare, qui témoigne de l'importance toute particulière du Christ !

La Visitation, entourée de Saints, Eglise Saint Hippolyte, 1650

Paul Claudel : la simplicité du mystère

Paul Claudel (1868 - 1965), "poète de la prière", élu à l'Académie française en 1947, écrivit un poème sur la scène de la rencontre entre Marie et Elisabeth.

Il y traduit comment la simplicité du quotidien de Marie s'allie au grand mystère de l'Incarnation et de cette Nouvelle-Alliance. 

La Visitation

Le Prêtre Zacharie d'Hébron, père de Jean, était une espèce de pope ou comme l'un de nos Curés,
Car les Prêtres dans ce temps-là avaient la permission de se marier.
Et sans doute aussi qu'il avait un petit jardin derrière son presbytère,
Tout plein de ces fleurs qui ont une odeur très forte, spéciales aux jours caniculaires.
C'est là que Marie, abiens in montana, est allée voir sa sœur Elisabeth.
Elle, la regarde, et dit : Ah ! Elle dit : Ah ! seulement et baisse la tête,
Car Elle a tout compris d'un seul coup,
Son sein a profondément tressailli,
Et joignant ses deux mains de pauvre femme
Elle dit bien bas : Unde hoc mihi ?
Et il me semble aussi que je suis là, qui regarde tout.
Et je vois les coins de la pauvre bouche qui tremblent et les larmes qui apparaissent tout-à-coup,
Ces larmes profondes des gens qui ne sont plus jeunes, d'un cœur qui manque et qui s'anéantit,
Et cette grimace que l'on fait quand on pleure comme quelqu'un qui rit.
Elle pleure, mais la Joie incommensurable est dans Ses yeux.
La Mère de Saint Jean-Baptiste regarde la Mère de mon Dieu !
Ô Bienheureuse Elisabeth, qui vis Marie dans le Premier Stabat,
La Sagesse éternelle de Dieu récitant le Magnificat !
Ah, puissions-nous, comme Vous ce soir-là dans le petit jardin judaïque,
Refaire cette promenade pas à pas que font tous les Fidèles Catholiques,
Et quand nous avons bien ouvert notre cœur coupable
et que nous avons tout dit,
«Je Vous salue, Marie, pleine de Grâce, le Seigneur est avec Vous, Vous êtes Bénie».

Paul Claudel (1601-1680) – « Corona benignitatis anni Dei », Poème sur la Visitation de la Très Sainte Vierge Marie à sa cousine Elisabeth, pages 185-199, aux éditions de la nouvelle revue française, 1915. 

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