Projet de recherche ENNACs

Le projet de recherche ENNACs (Expérience, Narrativité et Numérique dans les Agents Conversationnels en santé) du département Humanité numérique s’inscrit au cœur d’une interrogation majeure de notre temps : comment penser la rencontre entre humains et agents artificiels ? Plus précisément, il se propose d’explorer l’expérience sensible que nous pouvons établir avec des agents conversationnels animés (ACA), personnages virtuels à l’apparence humaine en 2D capables de communiquer de façon verbale et non-verbale avec leurs utilisateurs. Ces dispositifs, de plus en plus présents dans le domaine de la santé, ouvrent des perspectives inédites mais posent également des questions éthiques, philosophiques et politiques.

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Cette démarche repose sur un constat : trop souvent, les ACA (Agent conversationnel animé) sont conçus sur un modèle anthropocentré, cherchant à imiter la personne humaine jusque dans ses gestes, ses expressions et ses paroles. Cette logique de ressemblance place la rencontre sur le terrain du simulacre et de la substitution, avec le risque de générer malaise, méfiance, voire rejet. À rebours de ce paradigme, ce projet propose une autre voie : assumer la différence ontologique entre l’humain et l’agent artificiel, et explorer comment cette altérité peut devenir une richesse plutôt qu’un obstacle.

Dans cette perspective, les récits et imaginaires qui accompagnent l’émergence des ACA sont analysés. Comment l’interface entre humain et non-humain est-elle décrite ? Quelles représentations du soin véhiculent ces technologies ? Qui en formule le récit, et selon quels discours disciplinaires ? Pour répondre à ces questions, une méthodologie pluridisciplinaire est mobilisée, associant philosophie, anthropologie, théologie, informatique, médecine, mais aussi arts et sciences sociales. Cette pluralité de regards permet de cartographier les grands thèmes transversaux de la recherche et d’éclairer les enjeux de l’acceptabilité, concept-clé qui interroge les conditions mêmes d’une intégration sereine des technologies dans nos vies.

Au-delà de la production scientifique, ENNACs ambitionne de contribuer à une meilleure compréhension des mutations en cours et à l’élaboration de cadres éthiques et politiques favorisant une intégration non-disruptive des ACA dans la société. En assumant la différence entre humain et agent artificiel, en mettant en lumière la dimension existentielle de la rencontre – notamment dans le contexte du soin –, ce projet entend nourrir une réflexion collective sur ce que signifie être humain à l’ère numérique.

Le projet bénéficie d’un cadre institutionnel, grâce à une convention formalisée en 2024 entre le Collège, le CNRS, l’Hôpital Universitaire de Bordeaux et le laboratoire SANPSY (Sommeil, Addiction et Neuropsychiatrie). Cette convention représente une reconnaissance scientifique et un levier essentiel pour la poursuite sereine du programme. Elle assure un ancrage fort dans la recherche académique internationale, tout en offrant un terrain clinique et expérimental unique pour le développement des travaux de cette recherche.

TROIS AXES DE TRAVAIL

La dimension informatique

Le premier axe de recherche porte sur la compréhension du fonctionnement et du design des agents conversationnels animés (ACA). Ces dispositifs ne sont pas neutres : leur architecture technique, les critères retenus pour valider leur efficacité et les standards qui guident leur conception influencent directement la qualité de l’interaction avec les usagers. Dans ce cadre, l’équipe de recherche travaille actuellement à une traduction critique en français de l’ASAq, un instrument international d’évaluation des ACA. L’objectif est double : rendre cet outil accessible à la communauté scientifique francophone et ouvrir une réflexion sur les biais, limites et orientations implicites qui pèsent sur le design de ces technologies. Par ce travail, l’équipe souhaite participer activement à l’amélioration de la conception de ces dispositifs, en tenant compte des exigences d’éthique et d’acceptabilité.

La dimension psychiatrique

Le second axe explore la nature thérapeutique de la rencontre entre un patient et un agent conversationnel animé. Dans le contexte du soin, notamment en santé mentale, l’introduction d’ACA modifie les modalités d’accompagnement et de suivi. Quelles attentes suscitent ces dispositifs ? Quelles différences introduisent-ils par rapport à une interaction strictement humaine ? Quelles nouvelles exigences ou opportunités créent-ils pour les soignants et les patients ? Ce questionnement est mené en partenariat avec des psychiatres et des équipes cliniques, afin de saisir de manière fine la dimension relationnelle et existentielle de ces interactions. L’ambition est de mieux comprendre comment les ACA peuvent soutenir la pratique thérapeutique, sans se substituer à l’humain, mais en venant enrichir les formes de soin.

La dimension philosophique, anthropologique etthéologique

Le troisième axe interroge l’impact plus fondamental de ces technologies sur notre conception de l’humanité et sur nos cadres collectifs de vie. La rencontre avec des ACA n’est pas seulement une expérience technique ou clinique : elle engage des représentations profondes de ce que signifie être humain à l’ère numérique. Comment cette confrontation à l’altérité artificielle est-elle susceptible de transformer nos manières de nous définir et de nous relier les uns aux autres ? En parallèle, cet axe vise à proposer des normes et des pratiques partagées dès la phase de conception des dispositifs, afin d’orienter le développement technologique vers des usages respectueux, inclusifs et socialement responsables.

À travers cette réflexion, le projet entend nourrir une approche véritablement humaniste du numérique, attentive à la fois aux transformations sociales et aux enjeux éthiques globaux.

ORIGINALITÉ

L’originalité du projet ENNACs réside dans le choix d’articuler des approches issues de disciplines rarement mises en dialogue de manière structurée : philosophie, anthropologie, théologie, psychiatrie, informatique, mais aussi arts numériques. Ce positionnement permet la construction d’une méthodologie véritablement transdisciplinaire, qui dépasse la juxtaposition des expertises pour élaborer un langage commun et des outils partagés.

Le projet se distingue également par son rapport à l’éthique: alors que les considérations éthiques sont souvent reléguées à la fin des processus de conception et d’expérimentation, ENNACs place la réflexion éthique et anthropologique dès l’amont, au cœur même du design, des questionnaires et des conventions techniques qui orientent le développement des ACA. Cela est rendu possible grâce à la synergie entre chercheurs en sciences humaines, opérateurs de santé et informaticiens concepteurs de ces technologies, qui collaborent à l’intérieur même du projet. Cette configuration permet de questionner les présupposés implicites — industriels, politiques ou culturels —qui structurent les technologies, et de proposer des alternatives dès les premières phases de création.

En ce sens, la valeur ajoutée du projet est double :

- scientifique et méthodologique, en apportant au paysage scientifique international une démarche innovante qui croise analyse philosophique, observation clinique et     conception technique;

- sociétale, en ouvrant la voie à des usages des ACA plus responsables, inclusifs et respectueux de la différence entre humain et agent artificiel, pour un numérique pensé véritablement au service de l’humain.

Ces travaux s’inscrivent dans des réseaux de recherche transnationaux, il contribue à façonner le débat académique sur les agents conversationnels bien au-delà du cadre français. L’enjeu des prochaines années sera d’étendre cette influence, en passant du champ strictement scientifique à celui des institutions de santé et de gouvernance, afin de peser sur les orientations stratégiques. Ce mouvement d’élargissement consolidera la visibilité et l’autorité du projet dans les débats publics européens et internationaux.

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MÉTHOLOGIE

Le groupe de recherche fonctionne selon une méthodologie collaborative, expérimentale et transdisciplinaires.

- Des workshops trimestriels permettent de présenter l’avancement des travaux, de nourrir la discussion collective et d’inviter des spécialistes externes, à la fois pour partager leurs expertises et pour échanger sur les projets et l'avancée de la recherche.

- Parallèlement, les membres de l’équipe de recherche organisent et participent à des événements scientifiques internationaux, afin de consolider un réseau réunissant les meilleurs experts mondiaux dans le domaine.

- La publication d’articles scientifiques constitue un autre pilier de la démarche, en garantissant la diffusion et la reconnaissance des résultats dans la communauté académique.

- Enfin, des expérimentations artistiques sont menées. Elles élargissent le champ de la recherche en ouvrant un espace sensible et créatif de réflexion et de médiation avec le grand public.

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