
Humanisme numérique
POUR UN HUMANISME NUMÉRIQUE CRITIQUE
Comment repenser l’humanisme à l’ère numérique, sans nostalgie ni technophobie, mais aussi sans céder à un optimisme naïf ou à un anthropocentrisme réducteur ? Cette question guide ce projet de recherche, qui entend explorer les ressources de la tradition humaniste pour affronter les mutations culturelles, sociales et politiques produites par les technologies numériques.
La notion d’« humanisme numérique » n’est pas neuve : depuis les travaux pionniers de Milad Doueihi jusqu’au Vienna Manifesto on Digital Humanism, en passant par les réflexions critiques de philosophes contemporains comme Mark Coeckelbergh, elle a suscité de nombreux débats. Mais elle demeure aujourd’hui traversée par des tensions fondamentales. D’un côté, on y voit une tentative de sauvegarder les valeurs humaines dans un monde dominé par les algorithmes, l’intelligence artificielle et la datafication de l’expérience. De l’autre, certains soulignent que parler encore d’« humanisme » risque de reconduire des impensés anthropocentriques et eurocentriques, alors même que la frontière entre humain, non-humain et technique s’érode.
Ce projet part de cette tension pour en faire une opportunité de recherche. Il ne s’agit pas de définir une fois pour toutes ce qu’est «l’humain » face au numérique, mais de reconnaître que l’humanisme s’est toujours constitué en dialogue avec ses environnements techniques : de la paideia grecque à l’imprimerie, de la Renaissance aux Lumières, chaque époque a reformulé la question de l’humain à partir de ses médiations technologiques. Le numérique, avec ses environnements connectés, ses écrans et ses algorithmes, constitue aujourd’hui un nouvel horizon qui exige un travail analogue. En ce sens, cette démarche est double : d’une part, réinterroger les concepts hérités de la tradition humaniste pour mesurer leur pertinence face aux réalités numériques contemporaines ; d’autre part, analyser comment les technologies actuelles transforment nos représentations de l’humain, nos pratiques sociales et nos imaginaires collectifs.
L’enjeu de cette recherche est d’élaborer une approche critique et située, qui échappe à la fois au mythe d’un progrès technique linéaire et à la tentation de replier l’humanisme sur des catégories figées.
TROIS AXES DE TRAVAIL
Réinterprétation critique de la tradition humaniste par le biais d’un glossaire
Le premier axe s’articule autour de la constitution et de la diffusion d’un glossaire critique, qui rassemble et réinterprète des notions centrales de la tradition humaniste. Loin de constituer un simple glossaire, ce travail vise à montrer la fécondité de ces catégories pour comprendre les transformations numériques. Il s’agit de deux gestes complémentaires : d’une part, restituer la profondeur historique et philologique de ces termes (par exemple la philologie comme science de la culture chez Vico, ou l’humanisme comme travail de façonnage de soi et des institutions) ; d’autre part, les mettre à l’épreuve de la condition numérique contemporaine (les environnements algorithmiques, la sensibilité façonnée par les écrans, la reconfiguration des pratiques sociales). Le glossaire devient ainsi un outil conceptuel partagé, un lieu de médiation entre passé et présent, permettant de renouveler la réflexion critique sur l’humanisme numérique.
Repenser l’humanisme numérique dans un horizon européen et international
Le deuxième axe vise à inscrire la réflexion sur l’humanisme numérique dans un cadre théorique élargi, qui dialogue avec les grandes traditions culturelles et philosophiques européennes. L’idée est de montrer que les débats contemporains ne peuvent être compris qu’en relation avec une généalogie plus vaste des humanismes historiques. Dans cette perspective, le projet entend contribuer à cartographier les tensions qui traversent aujourd’hui l’humanisme numérique : entre universalisme et pluralité, entre anthropocentrisme et ouverture posthumaniste, entre continuité historique et rupture radicale. C’est en confrontant ces différentes lignes de pensée, au croisement de la philosophie, de la théologie, de la philologie et des sciences sociales, qu’il sera possible de donner à l’humanisme numérique une véritable épaisseur théorique, capable d’éviter aussi bien le piège d’un optimisme naïf que celui d’une technophobie réactive.
Formation et pratiques de convivialité technologique
Le troisième axe, plus directement orienté vers la praxis, vise à développer une approche humaniste de la formation numérique. Inspiré par la notion de « convivialité » proposée par Ivan Illich, il s’agit de proposer des formats pédagogiques qui aident les publics à reprendre la main sur leurs environnements technologiques. Cette formation ne se limite pas à une transmission de compétences techniques : elle met en avant la capacité critique et la créativité des usagers, en valorisant des usages sobres, partagés et ouverts des technologies. Concrètement, il s’agira d’organiser des ateliers, des rencontres en ligne et des modules de sensibilisation pour favoriser des pratiques conviviales et collaboratives, permettant d’habiter le numérique comme un espace de culture et non de simple consommation. Ce volet contribue à ancrer l’humanisme numérique dans l’expérience concrète des individus et des communautés, en transformant la réflexion théorique en ressource pour l’action.
MÉTHODE
La méthodologie retenue articule trois dimensions complémentaires : théorique, pédagogique et collaborative.
1. Travail sur les concepts
Le projet prend appui sur le glossaire de l’humanisme numérique critique, résultat d’un travail collectif déjà mené par le département (2024-2025) et en cours de publication en italien (Rosenberg et Sellier, 2025) et en français (Mimesis France, 2026). Ce corpus de notions clés (humanisme, numérique, philologie, matérialisme, éthique, physiologie, théologie, etc. )constitue le socle théorique qui sera mobilisé dans toutes les activités du projet. Les événements organisés ne visent pas une présentation unilatérale des contenus, mais une appropriation critique et partagée des concepts, en dialogue avec les différents publics.
2. Dispositifs de dissémination
La dissémination repose sur deux grandes familles de formats :
• Présentations des volumes collectifs : les deux rencontres publiques prévues à Turin et à Paris en 2026 seront conçues comme des espaces de débat et de confrontation, au-delà de la simple présentation éditoriale. Chaque session s’organisera autour de tables rondes thématiques, réunissant auteurs, chercheurs invités et représentants d’autres centres de recherche européens, suivies de débats ouverts avec le public. L’objectif est de mettre en discussion les données du glossaire en les confrontant à des expériences concrètes liées au numérique (éducation, communication, culture, spiritualité), de manière à montrer leur pertinence au-delà du seul cercle académique.
• Atelier de formation au Collège des Bernardins : animé en collaboration avec le collectif Circe, cet atelier adoptera une approche participative et expérientielle. Conformément à la philosophie de Circe sur les technologies conviviales, l’atelier alternera moments d’introduction théorique (présentation de cas, mise en contexte critique) et exercices pratiques : cartographie collective des usages numériques, analyse critique d’applications ou de dispositifs, élaboration de scénarios alternatifs de design. Les participants (étudiants en théologie et chercheurs associés) seront invités à expérimenter concrètement des pratiques numériques respectueuses de l’autonomie et de la convivialité, et à réfléchir aux conditions sociales et éthiques qui les rendent possibles.
3. Dimension collaborative
Le projet s’inscrit dans une dynamique de réseau européen et international. Il favorise l’échange avec des initiatives telles que le projet Horizon Europe EUDHIT, qui travaille à promouvoir une société plus inclusive et démocratique à travers le paradigme du digital humanism. Il entretient également un dialogue académique avec des partenaires institutionnels(Université de Turin, TU Wien) et non-institutionnels (collectif Circe). Cette ouverture garantit que la réflexion du département dépasse le cadre strictement national et participe à la construction d’un vocabulaire partagé au niveau européen.
4. Temporalité et formats
Les événements se déroulent entre février et octobre 2026. Chaque rencontre est conçue dans une logique interactive et délibérative, avec un temps dédié à l’appropriation des concepts par les participants (questions, ateliers, échanges informels). L’alternance de formats – tables rondes, débats publics, ateliers avec exercices pratiques – permet de croiser la diffusion des résultats déjà obtenus et la production de nouvelles formes de réception et d’usage collectif.
sous la direction de
L'ÉQUIPE DE RECHERCHE
Andrea Osti, docteur de recherche et chercheur postdoctoral en philosophie, Université de Turin
Jacopo Bodini, docteur de recherche et chercheur postdoctoral, Université Jean Moulin Lyon 3
Francesco Striano, docteur de recherche et chercheur en philosophie, Université de Turin
Antonio Lucci, chercheur en philosophie morale, Institut de philosophie et des sciences de l’éducation, Université de Turin
Alessandro De Cesaris, post-doctorant en esthétique et philosophie de l’art, Université de Fribourg
Steven Umbrello, chercheur postdoctoral, Université de Turin
Mars 2026
Événement : présentation du volume italien. Tables rondes et débat public. Université de Turin
Juin 2026
Événement : présentation du volume français. Débat public, possible table ronde avec EUDHIT. Paris
Octobre 2026
Atelier de formation par Circe
Novembre - Décembre 2026
Diffusion des conclusions