Ukraine et espérance : un archevêque en temps de guerre

Publié le
31/10/24
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Monseigneur Sviatoslav Shevchuk, Primat de l’Église gréco catholique ukrainienne, nous partage dans ce discours son expérience de résistance morale et spirituelle en temps de guerre.

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Tout d'abord, je vous remercie pour votre aimable hospitalité, qui est un autre signe de solidarité sincère avec le peuple ukrainien, blessé mais invincible. Je remercie également tous ceux qui sont réunis ici aujourd'hui.

Pour la noblesse de la France et le respect des valeurs humaines dont fait preuve l'Union européenne, pour l'espoir que vous partagez avec nous, j'exprime ma profonde gratitude au nom de tous les Ukrainiens.

Nous approchons du millième jour de la guerre à grande échelle de la Russie contre l'Ukraine. Mille jours de sirènes d'alerte aérienne dans tout le pays. Mille jours d'effusion de sang, de terreur et de mort. Déjà dix ans se sont écoulés depuis le premier acte d'agression - l'annexion de la Crimée et le début de la guerre dans le Donbass.

L’Église, signe et messagère d’espérance

Plus que de pain et de vêtements, nous avons besoin, de la part de l'Église, de paroles d'espérance. Soyez signe et annonciateur d'espoir !

Je fais appel à vous en tant que représentant de l'Église, en tant que pasteur du peuple qui m'a été confié. En même temps, je me tiens devant vous en tant que membre d’une nation qui connaît une guerre douloureuse sans précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

Je ne suis pas ici pour me plaindre ou me lamenter. Mon souhait est d'apporter de l'espoir, de vous encourager et de partager avec vous la source de notre force et de notre résilience. Nous avons une tâche à accomplir ensemble, car les génocides d'Hitler et de Staline ne peuvent pas se répéter.

Que pouvons-nous faire ? L'Église n'a que cette force qui vient du fait de suivre la volonté et les commandements de Dieu, du témoignage de la réalité, selon laquelle Dieu est le maître de l'histoire. La force de l'Église réside dans sa foi inébranlable en la promesse de Dieu, qui est celui qui « fait justice aux opprimés, aux affamés, il donne du pain ; le Seigneur délie les enchaînés. (...) Le Seigneur protège l'étranger. Il soutient la veuve et l'orphelin » (Ps 145, 7-9) Dieu est toujours du côté de la victime innocente. Donc, Il est avec nous, Il se tient à nos côtés.

La force de l’Église réside dans sa conviction inébranlable qu’en fin de compte, malgré toutes les épreuves et tribulations, le bien l’emportera sur le mal et la vérité l’emportera sur le mensonge. Vous partagez cette conviction, comme toutes les personnes de bonne volonté. Chrétiens et croyants d’Ukraine sont appelés à être une source d’espoir et de consolation pour ceux qui traversent des épreuves indescriptibles et qui recherchent désespérément solidarité et soutien.

Pendant des siècles, notre Église a accompagné son peuple dans ses joies et ses peines. Nos évêques, nos prêtres et nos religieux continuent à le faire.

Malgré le danger mortel, ils restent avec le peuple jusqu'au bout, y compris dans les territoires occupés. Ils sont emprisonnés, torturés et humiliés.

Lorsque j'ai demandé au maire de Kyiv, l'ancien champion du monde de boxe Vitaliy Klitschko, comment servir au mieux les habitants de la capitale en ces temps difficiles, il a répondu : « Plus que de pain et de vêtements, nous avons besoin, de la part de l'Église, de paroles d'espérance. Soyez signe et annonciateur d'espoir ! ».

C'est pourquoi nous sommes debout, nous nous battons, nous prions ! Et nous savons que vous êtes à nos côtés et que vous nous encouragez. Je vous remercie pour notre rencontre d'aujourd'hui, car c'est une occasion d'inspiration mutuelle.

Lire aussi : Les Églises, l'Ukraine et la paix.

L'Église partage le sort du peuple

Les massacres et les fosses communes à Bucha, Irpin, Borodyanka et Izyum, le bombardement de la maternité et du théâtre dramatique de Marioupol, l'attaque à la roquette cet été contre l'hôpital pour enfants "Okhmatdit" à Kyiv, 13 millions de personnes contraintes de quitter leur domicile (8 millions de réfugiés et 5 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays (IDP)) rappellent les fruits amers du plan néo-impérialiste de Poutine.

Notre peuple sait que l'occupation russe entraîne des enlèvements massifs d'enfants, des viols de femmes, la conscription forcée des hommes dans l'armée russe, qui tuent ensuite leurs propres frères et sœurs, et l'imposition d'une identité russe-fasciste ou « rashiste » à notre jeunesse.

Vous le savez bien. L’agression russe contre l’Ukraine repose sur la destruction délibérée des infrastructures civiles dans tout le pays. Les données collectées à partir de sources ouvertes l’illustrent bien : environ 1,4 million d’immeubles, dans lesquelles vivaient 3,4 millions de personnes, ont été endommagés ou détruits. Les établissements d'enseignement ont été extrêmement touchés : 3 793 écoles et universités ont subi des bombardements ou des tirs. Le système de santé a également été détérioré, avec des pertes s'élevant à 3,12 milliards de dollars :1 736 installations médicales ont été endommagées ou détruites et 212 travailleurs médicaux ont été tués. Les lieux de culte n'ont pas été épargnés. Au moins 630 églises et sites religieux sont détruits ou endommagés.

Après chaque tentative de nous détruire, nous vivons et nous témoignons.

Si Poutine parvient à occuper l’ensemble de l’Ukraine, toutes les églises ukrainiennes seront détruites. Notre Église a déjà été interdite dans les régions sous occupation de l’Ukraine. Le 26 décembre 2022,les activités de l'EGCU ont été reconnues comme « violant la législation sur les organisations religieuses et publiques de la Fédération de Russie ». Presque toutes nos paroisses ont été détruites, les églises et les monastères ont été confisqués et leurs biens pillés.

Au cours des trois derniers siècles, chaque fois que la Russie a occupé des territoires peuplés de catholiques orientaux, elle les a convertis de force à l'orthodoxie russe, les a exilés ou les a envoyés à la mort au goulag.

Et pourtant, après chaque tentative de nous détruire, nous vivons et nous témoignons.

Notre Église fait partie intégrante de la société et nous restons avec notre troupeau dans des circonstances de mort et d'anarchie. La proximité et la loyauté envers les siens exigent des sacrifices et exposent souvent à de grands dangers. Deux prêtres gréco-catholiques ukrainiens, les pères rédemptoristes Bohdan Heleta et Ivan Levytsky, sont récemment rentrés de captivité russe après plus d'un an et demi d'emprisonnement, de torture et d'humiliation.

Notre solidarité et notre résilience ont un prix, comme la vôtre aussi.

Face au mal, il n'y a pas d'autre voie.

Je voudrais également réfuter certains mythes sur l'Ukraine qui peuvent déformer la vision de l'Occident, obscurcir la perspective éthique appropriée et empêcher une action décisive.

Les Ukrainiens veulent la paix

Rien n’est plus éloigné de la vérité que l’affirmation selon laquelle l’Ukraine ne veut pas de paix. Personne ne souhaite plus la paix que les Ukrainiens. Contrairement à la Russie, dont le dirigeant déclare que l’effondrement de l’Union soviétique a été « la pire catastrophe géopolitique du XXe siècle », nous nous sommes réjouis de notre libération de l’empire du mal rouge. Nous avons rejoint les démocraties d'Europe et du monde, pour lesquelles les vertus de liberté, de justice, de respect des droits et de la dignité des personnes et des nations sont fondamentales.

Nous aspirons à la paix de tout notre cœur, de toute notre âme, mais à une paix juste, car seule une paix juste sera réelle et durable.

Nous avons apporté une contribution particulière et visionnaire au développement de la paix et de la liberté mondiales. Comme l’a souligné le pape François, beaucoup oublient qu’il y a 30 ans, trois ans après son accession à l’indépendance, en décembre 1994, l’Ukraine a renoncé à son arsenal nucléaire, qui à l’époque dépassait celui de la Grande-Bretagne, de la France et de la Chine réunis. Il conviendrait de marquer publiquement l'anniversaire de ce précédent en France et dans l'Union européenne. Si je puis me permettre, je dirai même, que cette démarche mériterait un prix Nobel de la paix.

Au lieu de cela, l'Ukraine a été punie par la guerre par l'un des signataires de l'accord de désarmement nucléaire, un partenaire qui s'est engagé à protéger sa souveraineté et son indépendance. L'Ukraine a le droit moral d'attendre que les autres garants, ainsi que le reste du monde démocratique, l'aident à protéger sa souveraineté et son intégrité territoriale.

Les Ukrainiens, comme nul autre, aspirent à la paix. Ce sont eux qui subissent des souffrances indescriptibles, perdent famille et amis, sont mutilés et blessés par la brutalité de la guerre.
Nous aspirons à la paix de tout notre cœur, de toute notre âme, mais à une paix juste, car seule une paix juste sera réelle et durable.

Regarder le débat : À quoi sert l'arme nucléaire ? avec le Général Trinquand et Jean-Marie Collin

Dépasser ses stéréotypes

La propagande russe vise à discréditer notre État, à convaincre les Européens que cette guerre n’est pas la leur, et à leur faire croire qu’il n’y a aucun moyen de contrecarrer l’agenda néo-impérial de la Russie ni de l’empêcher d’atteindre ses objectifs expansionnistes et révisionnistes. Elle dépeint l'Ukraine comme un « État en faillite », une société traumatisée sans identité nationale authentique. Elle présente l'Ukraine comme une menace agressive pour la Russie, comme peu disposée à mener des négociations de paix réalistes et comme déraisonnable dans son insistance à obtenir une paix juste.

Malheureusement, de telles opinions peuvent être entendues non seulement dans les médias et les canaux de propagande officiels russes, mais aussi chez des scientifiques, des intellectuels publics et des hommes politiques faisant autorité dans les pays occidentaux, en particulier en France. Pour leur propre sécurité, les démocraties occidentales doivent examiner comment des régimes malveillants peuvent abuser de la liberté d'expression et déformer la vérité tout en évitant de rendre des comptes.

Lire aussi : Les réactions ukrainiennes à la réécriture de l'Histoire par Vladimir Poutine

Surmonter sa peur

Lorsque nous nous solidarisons autour de la vertu, notre anxiété s'apaise.

La Russie joue sur la peur et la terreur. Elle menace les populations occidentales d'un conflit militaire direct avec l'OTAN. Elle intimide avec des scénarios de troisième guerre mondiale et d'attaque nucléaire. Elle alimente l'anxiété et la panique en Occident !

La peur est mauvaise conseillère. Nous ne devrions jamais discerner ou agir sous l’emprise de la peur. D'un point de vue spirituel, la meilleure façon de surmonter la peur est de la confronter à une action significative en faveur du bien. Lorsque nous nous solidarisons autour de la vertu, notre anxiété s'apaise.

Quelle joie j'ai ressentie lorsque j'ai surmonté ma peur.

Permettez-moi de vous raconter l'histoire du père Herman Budzinski. Il était prêtre dans les catacombes pendant la persécution soviétique de l'Église gréco-catholique ukrainienne. Pendant quatre décennies, ce moine fidèle a été, à plusieurs reprises, arrêté et injustement condamné. Il a passé de nombreuses années en prison. Après avoir été libéré d'un de ses séjours au goulag, le père Herman commença à rassembler des articles de magazines soviétiques diffamant l'Église. Il rédigea une répudiation complète des textes diffamatoires et l'envoya aux mêmes médias. Pour cette raison, il fut à nouveau arrêté, condamné et renvoyé en prison. Plus tard,« Wende » lui a demandé pourquoi il avait affronté à plusieurs reprises les autorités soviétiques, pourquoi il n'avait pas eu peur. Le père Herman a répondu : « En fait, j'ai eu peur. Mais quelle joie j'ai ressentie lorsque j'ai surmonté ma peur. Quelle joie j'ai ressentie, lorsque j'en ai été libéré ! "

Surmonter ses illusions

La peur donne souvent naissance à des espoirs illusoires et à des projets de paix rapide, bon marché et commode. De tels mirages sont dangereux pour plusieurs raisons.

Premièrement, on pourrait être tenté d’assimiler un cessez-le-feu facile à la paix. Une paix naïvement imaginée et inconsidérément promulguée se révélera être une trêve de courte durée, après laquelle l'agresseur récompensé reviendra réarmé, plus fort et plus vorace qu'auparavant. Les dirigeants russes cherchent ouvertement et sans équivoque à recréer l'empire dans sa dimension soviétique. Il est simpliste et insensé de penser qu'ils se contenteront de la Crimée et du Donbass. La prise de l'Ukraine n'est qu'un « en-cas ». Les États baltes, le Caucase et l'Asie centrale ne se font pas d'illusions sur le fait qu'ils seront le prochain plat. Personne ne devrait se faire d'illusions. Les paroles de l'apôtre Paul devraient être un avertissement : « Quand les gens diront : « Quelle paix ! Quelle tranquillité ! », c’est alors que, tout à coup, la catastrophe s’abattra sur eux… » (1Thes. 5,3)

« Construire des ponts » avec le mal ne fait qu'alimenter sa folie des grandeurs.

Deuxièmement, ni les démocraties mondiales ni l'Église ne devraient soutenir une paix qui accepte l'agression comme une méthode efficace pour s'approprier le territoire souverain d'un autre pays. Cela porterait un coup fatal à la sécurité mondiale car cela encouragerait tous les autres agresseurs potentiels. Plus nous faisons fi des valeurs et des principes éthiques, en faisant des concessions à un envahisseur, plus ce dernier s'enhardit et moins nous sommes protégés. « Construire des ponts » avec le mal ne fait qu'alimenter sa folie des grandeurs. C'est pourquoi les démocraties mondiales ont besoin d'une nouvelle feuille de route pour une paix juste qui écarte la fausse logique de l'apaisement de l'agresseur.

S'appuyant sur son expérience des deux guerres mondiales, le légendaire chef de notre Église (1901-1944), le métropolite Andrey Sheptytskyi, a écrit : « Chacun comprend qu'une paix qui ne tiendrait pas compte des besoins des peuples et dans laquelle les peuples se considéreraient comme offensés et seraient en fait offensés ne serait pas une paix, mais plutôt la cause de complications nouvelles et plus graves et de haines mutuelles qui conduiraient nécessairement à de nouvelles guerres. »

(«Про почитання іпосвяту себе Пречистій Богородиці»)

Troisièmement, un accord de paix a du sens lorsqu’il est certain que toutes les parties qui l’ont signé honoreront leurs engagements. Les traités présupposent la confiance, du moins dans une certaine mesure. Mais posons-nous la question : existe-t-il un seul accord de sécurité entre l'Ukraine et la Russie que cette dernière n'ait pas violé ? Aucun. Après tout, elle nie ouvertement le statut juridique de l'Ukraine en tant qu'État, son droit même d'exister. Et, comme le montre l'échec du mémorandum de Budapest de 1994, les promesses d'autres États en tant que garants ne dissuadent pas nécessairement la Russie. Ainsi, il est politiquement incorrect et stratégiquement imprudent de croire que la logique qui gouverne les pays et les peuples démocratiques s’applique aux totalitaires et aux dictateurs ou les influence un tant soit peu.

L’Ukraine a besoin et aspire profondément à une paix réelle, juste et durable, et non à une trêve éphémère et illusoire.

Lire aussi : Sortir de la guerre.

Surmonter ses déceptions

La Russie tente de présenter l'Ukraine comme le pays le plus corrompu en Europe, si ce n’est au monde. Je ne prétends pas qu'il n'y a pas de corruption en Ukraine et je ne minimise pas non plus son impact sur la société ukrainienne. Aucune société n'est à l'abri de cette maladie. Toutefois, je suis convaincu qu'elle peut être soignée.

Il est facile de tomber dans le piège de l'adage selon lequel « l'argent n'a pas d'odeur ».

La société civile, principal protagoniste de la lutte contre la corruption, est suffisamment forte pour contenir la menace et guérir la maladie. La corruption est une chose épouvantable. Son éradication est nécessaire pour gagner la paix en Ukraine et devra constituer un nouvel accord social dans l'avenir d'après-guerre du pays.

Le système soviétique se caractérisait par une anti-culture de la corruption basée sur le double standard, les mensonges et les stratégies de survie. Il volait ce qu'il pouvait aux gens, et les gens volaient ce qu'ils pouvaient au système. Cet héritage post-communiste a été aggravé par la politique russe d'exportation de la corruption. La Russie a corrompu nos élites politiques, nos médias et notre culture populaire. Ces astuces ne s’arrêtent pas aux frontières de l’ex-Union soviétique.

L’offre de financements, d’énergie bon marché et de privilèges commerciaux continue d’acheter le consentement tacite international non seulement à l’invasion de l’Ukraine, mais aussi à la violation des droits de l’homme en Russie. Il est facile de tomber dans le piège de l'adage selon lequel « l'argent n'a pas d'odeur ».

Nous gagnerons la guerre contre la Russie, et la guerre contre la corruption.

La guerre est une expérience traumatisante et la corruption prospère souvent lors de tels cataclysmes. Mais nous sommes également témoins des efforts persistants de ceux qui cherchent à l’éradiquer de la société ukrainienne. En consentant des sacrifices, les Ukrainiens démontrent qu’ils veulent construire une société fondée sur l’État de droit, la transparence et la responsabilité. Ces valeurs, après tout, sont ancrées dans l’Évangile et exprimées dans l’enseignement social catholique.

La corruption n'aura aucune chance de prospérer si l'Ukraine est en paix et devient membre de l'Union européenne. - En fait, je pense vraiment que si l'Ukraine avait été invitée à rejoindre l'UE dans les années 1990, en même temps que la Pologne et d'autres pays d'Europe centrale et orientale, elle aurait disposé d'un puissant levier pour lutter contre la corruption et l'éradiquer bien plus tôt.

La guerre est une expérience de dégrisement. Elle amène les gens à reconsidérer et à transformer leur mode de vie. Nous gagnerons la guerre contre la Russie, et la guerre contre la corruption.

Aujourd'hui, l'Ukraine paie le prix ultime pour la liberté, la vérité et la justice et démontre son engagement moral pour un avenir démocratique et légal, social, politique et économique.

Avec votre aide. Pour notre bien-être mutuel. Nous n’avons pas d’autre choix viable pour préserver notre existence et sauvegarder notre dignité.

Aujourd’hui, l’Ukraine expérimente le sacrement pascal et accumule un immense capital spirituel fondé sur la vertu du sacrifice de soi. Ces ressources morales produiront des dividendes sociaux et économiques.

Aujourd'hui, l'Ukraine paie le prix ultime pour la liberté, la vérité et la justice et démontre son engagement moral pour un avenir démocratique et légal, social, politique et économique.

Lire aussi : Comment soutenir l'Ukraine et reconstruire la paix en Europe ?

La guerre en Ukraine, un test pour notre humanité

Le respect de la dignité humaine et de la vie humaine est au cœur de l'enseignement social catholique et de la démocratie. La poursuite sincère de ces principes constitue la différence fondamentale entre nos pays et les régimes totalitaires et autoritaires, dont la Russie. Si une personne est consciente de sa propre dignité et de celle de ses concitoyens et s’efforce de la préserver, voire de l’accroître, elle est alors capable de surmonter sa peur et d’affronter l’injustice d’une manière convaincante sur le plan éthique.

Une fin juste à la guerre est cruciale.

Aujourd’hui, les soldats, médecins, volontaires et aumôniers ukrainiens témoignent de la dignité humaine, risquant leur vie pour sauver les autres et leur donner la possibilité de rêver et de travailler à un avenir libre et digne. Je vais vous raconter une histoire vraie. Un soldat russe gravement blessé a dit au soldat ukrainien qui l'avait fait prisonnier :« Achève-moi ». L'Ukrainien lui a répondu : « Non, nous ne sommes pas comme vous ", et lui a sauvé la vie.

Pour de nombreux Ukrainiens, cette guerre est devenue un test et une expérience vécue de la dignité humaine. Je suis convaincu qu'ils préserveront et intégreront cette expérience en la traduisant dans les structures sociales et les institutions de l'Ukraine d'après-guerre.

Dans ce sens, une fin juste à la guerre est cruciale. Après tout, « la justice élève le peuple », lit-on dans les Proverbes (14, 34). À l’inverse, une nation qui a désespéré de la possibilité d’obtenir justice décline et ne peut pas surmonter ses problèmes sociaux. L'injustice ne voyage pas seule. Comme le dit le psalmiste : « Qui conçoit le mal et couve le crime enfantera le mensonge » (Psaume 7, 15).

La démocratie mérite d'être défendue au prix de son propre confort, de sa santé et même de sa vie.

L’Ukraine tire les leçons de la démocratie dans des circonstances extrêmes. Elle apprend par l’abnégation. Elle adopte les principes de liberté et de responsabilité alors que des réflexes autoritaires et nihilistes renaissent en Europe et que de plus en plus de gens deviennent sceptiques quant à la démocratie et à ses mérites.

La lutte courageuse de l'Ukraine remet en question l'idée que la sécurité physique et le confort matériel sont les seuls objectifs de la démocratie. Elle nous enseigne que la démocratie mérite d'être défendue au prix de son propre confort, de sa santé et même de sa vie.

Pavlo Kazarin, un journaliste ukrainien devenu soldat, l'a souligné : « Si l'Ukraine perd, de nombreuses sociétés à travers le monde diront : aha, regardez - ils étaient une démocratie, ils ont créé un espace pour la concurrence d'opinions, d'idées, de contextes, de significations diverses, et ils ont perdu. Par conséquent, pour la survie de notre État, nous n'avons pas besoin de tous ces vestiges du XXe siècle. Une économie de marché peut être établie sans eux (par exemple en Chine et en Russie), et dans la vie publique, nous pouvons nous résigner à une certaine forme d'autoritarisme ».

Nous pouvons beaucoup apprendre les uns des autres. Nous pouvons nous entraider pour défendre et promouvoir la démocratie pour les bonnes raisons et dans le bon but. Mais, l'Ukraine doit tout d’abord obtenir la paix !

Malheureusement, c'est aussi votre guerre.

Je vous demande d'aider les Français et les autres pays occidentaux à dépasser leurs stéréotypes et à surmonter leurs peurs, leurs illusions et leurs déceptions. Je vous demande de leur expliquer qu’il ne s’agit pas seulement d’une guerre ukrainienne, mais d’une guerre dont dépend l’avenir de la démocratie en Ukraine, en Europe et dans le monde entier.

La guerre contre l'Ukraine est une guerre contre la France, toute l'Europe et tout l'ordre démocratique. Malheureusement, c'est aussi votre guerre. L'Ukraine a besoin de votre soutien, non seulement dans son propre intérêt, mais aussi dans le vôtre !

Avoir le courage de prendre des décisions audacieuses et de les mettre en œuvre au profit de notre maison commune européenne.

Nous vivons une époque tumultueuse et difficile, un temps de décisions difficiles, un temps de sacrifices, mais je voudrais pas parler uniquement du « temps », mais aussi de notre Kairos. Nous vivons une occasion, une chance spéciale, un temps béni, ici et maintenant, où le Seigneur envoie son Esprit pour vaincre les forces du mal qui attaquent la personne humaine et la société humaine aujourd'hui. Nous croyons que l’Esprit de Dieu, Esprit de vérité, Esprit de liberté, Esprit d’amour est plus fort que la puissance de l’ennemi. Puissions-nous tous avoir la sagesse de voir notre réalité sous cet angle.

Je nous souhaite à tous une parrhésie* évangélique, afin que nous puissions librement, sans flancher, témoigner de la vérité, avoir le courage de prendre des décisions audacieuses et de les mettre en œuvre au profit de notre maison commune européenne.

Ensemble, en contribuant à une fin juste de la guerre, nous accomplirons ce qu'Isaïe a prophétisé : « Comme la terre fait éclore son germe, et le jardin, germer ses semences, le Seigneur Dieu fera germer la justice et la louange devant toutes les nations » (Isaïe 61, 11).

 

+Sviatoslav Shevchuk

Archevêque Majeur de Kyiv-Halych

Primat de l’Église gréco-catholique ukrainienne

 

Collège des Bernardins – Paris - 29 octobre 2024

* En rhétorique, la parrhésie (en grec : παρρησία) désigne le fait de parler librement, sans avoir à se prononcer . Elle implique non seulement la liberté d'expression, mais aussi l'obligation de dire la vérité pour le bien commun, même au péril de sa vie.

Crédits photo : UGCC

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