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Théologie

Sciences humaines et théologie : entre conflit et rencontre

Publié le
3/8/23

L'apparition, à la fin du XIXe siècle, de la sociologie, de la psychologie scientifique et de l'anthropologie, remit en question le monopole de la théologie sur la définition du sens du dogme, des rites ou des récits bibliques. Où en est la relation entre la théologie et les sciences humaines ? Sont-elles forcément en opposition, ou peuvent-elles dialoguer ?

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Laurence de Villers, professeure de philosophie et de théologie à l'Institut Catholique de Paris et au Centre Sèvres, Lionel Obadia, professeur d'anthropologie à l'université de Lyon 2, Denis Müller, théologien protestant et Antoine Arjakovksy, historien et co-directeur du département de recherche "Politique et Religions" du Pôle de recherche du Collège des Bernardins, se réunissent pour évoquer l'évolution du rapport entre théologie et sciences humaines, de leur naissance jusqu'à aujourd'hui.

La théologie face à la raison sécularisée

L'émergence des sciences humaines a déstabilisé le magistère que la théologie exerçait jusque là sur la définition du fait religieux, en en faisant un champ d'études parmi d'autres. Il en résulta un conflit entre les tenants des deux champs disciplinaires, sur la nature des questions de foi. Une des grandes craintes des théologiens résidait dans le sentiment, fondé ou non, que les autres sciences humaines (histoire, psychologie, anthropologie, etc.) tendaient à réduire les réalités religieuses à de simples pratiques socio-culturelles, ou à des projections de la psyché humaine.

"Le conflit est d'une certaine façon nécessaire dans la mesure où la théologie s'est affirmée comme science des sciences." Laurence de Villers

La vérité propre de la théologie

Face à ce nouveau prisme, celui d'un « athéisme méthodologique" opérant une suspension des catégories théologiques dans son examen du fait religieux, la théologie défend sa spécificité. Alors que les sciences humaines se situent sur le plan de l'épistémè, de la science de ce que l'on observe, la théologie s'est placée, chez les Pères de L’Église, sur le registre de la doxa, c'est-à-dire d'une vérité particulière, relevant de l'intuition et de la révélation.

« Pour parler de la vérité, les Pères considéraient que l’épistémè n’est pas suffisante, et que la doxa exprimait quelque chose de plus profond : ce que l’on expérimente en participant. » Antoine Arjakovsky

L'aggiornamento théologique

Cependant, confrontée au tournant de la modernité, la théologie doit se réinventer. Un auto-examen qui implique de sortir de l'écueil de la pure spéculation intellectuelle, d'une « théologie de bureau » centrée sur elle-même. Une ouverture aux problématiques contemporaines impliquant de revoir le rapport entre foi et raison, stimula de nouvelles générations de théologiens tels que Maurice Blondel, Yves Congar, Teilhard de Chardin ou Henri de Lubac.

Confrontée au tournant de la modernité, il était nécessaire pour la théologie de se réinventer. Cette auto-examen impliquait de sortir de l'écueil de la pure spéculation intellectuelle, d'une « théologie de bureau » centrée sur elle-même.

Un conflit français

Ce dynamisme de la pensée religieuse française ne suffît pas à dénouer les points de conflits qui pouvaient, et peuvent encore, opposer théologie et sciences humaines. En témoigne le bannissement de la théologie dans les universités françaises, spécificité nationale puisque le phénomène n'impacta ni la Suisse romande, ni l'Alsace. Il est possible de parler de guerre, pour qualifier la lutte qui opposa et peut encore opposer certains sociologues antireligieux et les théologiens dans le monde académique français depuis un siècle et demie.

Un dialogue pacifié

"Je suis optimiste quant à la possibilité d'un dialogue fécond et critique entre théologie et sciences humaines." Denis Müller

Cette réalité ne doit cependant pas conduire au pessimisme. Le conflit a perdu de sa violence. L'époque s'ouvre de plus en plus à la réconciliation et au dialogue entre les sciences humaines et la théologie, qui se révèle particulièrement fécond en permettant une approche interdisciplinaire et comparatiste du fait religieux.

"Je crois qu'il est important de ne pas trop insister sur ce conflit, qui risquerait d’occulter les collaborations intellectuelles et historiques qui se sont faites entre la théologie et les sciences humaines au cours du XXe siècle". Lionel Obadia

Loin d'être désuète, la théologie est toujours capable d'affirmer sa voix originale. Le pari semble gagné de son adaptation à la modernité : sans se renier, elle a su se renouveler pour défendre l'actualité de son message en s'ouvrant à d'autres approches disciplinaires et en reconnaissant leur validité.

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