L'étranger dans la Bible

Publié le
4/7/24

Que nous dit vraiment la Bible de l'accueil de l'étranger ? Est-il ami ou ennemi ? Qui est l'étranger de l'autre et qu'est-ce qui fait frontière ? Peut-on faire alliance, nouer des alliances, avec ceux qui ne partagent pas notre territoire, notre foi, qui viennent d'ailleurs ?

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Claire Burkel est bibliste et professeure au Collège des Bernardins. Dans son cours sur L'étranger dans la Bible, ouvert à tous, elle propose un travail de réflexion sur la figure de l'étranger et la question de l'hospitalité à partir de quelques passages de la Bible, de la Genèse aux épîtres des apôtres.

L'étranger, c'est celui qui n'est pas né sur notre sol, qui est d'une culture différente, parfois même d'une autre couleur de peau, qui ne fait pas partie de notre peuple ou de notre clan, qui ne parle pas notre langue avec aisance. Il a commencé son existence au-delà de nos frontières. Mais qu'est-ce qui fait frontière ? Peut-on faire une place à l'immigré dans notre pays ? Peut-on accorder notre confiance, nouer des alliances avec ceux qui ne partagent pas notre territoire, notre foi, qui viennent d'ailleurs ?

L’accueil de l’étranger : une préoccupation ancienne de l’Eglise catholique

 

Le pape François a choisi d’ouvrir son pontificat avec un premier déplacement apostolique sur l'île italienne de Lampedusa (juillet 2013) pour montrer la sollicitude de l'Eglise envers les migrants : ils ne sont pas européens, sont souvent de religion et de culture non-chrétiennes, ignorent la plupart du temps les langues du vieux continent et c'est pourtant à travers eux, leur pauvreté et leur volonté de mieux vivre, le rejet qu'on leur oppose et leur espérance, que le pape veut montrer que le Salut en Jésus-Christ atteint tout homme, quels que soient son origine et son statut social. L'Église va même jusqu'à proposer un tableau positif des migrations qui font avancer l'humanité vers une communion toujours plus profonde.

L'Église va même jusqu'à proposer un tableau positif des migrations qui font avancer l'humanité vers une communion toujours plus profonde.

En novembre 2013, quelques mois plus tard, il mettait en avant dans son exhortation apostolique la nécessité d’une « généreuse ouverture » à l’égard des migrants, qu’il opposait à la crainte identitaire de voir sa culture locale détruite. Plus récemment encore, lors de son discours au Palais du Pharo (Marseille, septembre 2023) il appelait l’Europe à un « sursaut de conscience pour prévenir un naufrage de civilisation ». François utilisait ainsi l’image du port, qui accueille voyageurs et exilés, pour rappeler que la charité des chrétiens doit se porter vers l’étranger dans le besoin, vers le migrant à considérer comme une personne, et non comme un danger.

Un propos clair, mais souvent attribué au seul pape François…

Pourtant, si ce dernier en fait une priorité de son pontificat, il puise dans une ancienne tradition de l'Église, traduite dans la Doctrine Sociale de l’Eglise, et s’appuyant sur un enseignement biblique inaliénable. Ainsi, le pape Pie IX (1846-1878) est souvent considéré étant à l’origine de l’intérêt du Saint-Siège pour la réalité migratoire, dans un contexte marqué par le Risorgimento italien, période durant laquelle l’Eglise se voyait en « forteresse assiégée ».Le pape Léon XIII (1878-1903), quant à lui, rappelait l’importance de respecter la culture des migrants, leurs traditions religieuses, et soulignait qu’ils sont des sujets de préoccupation pour l'Église d’accueil et pour celle de départ.

À plusieurs reprises, les papes ont établi un lien indissociable entre migrations et fraternité universelle, en rappelant le fondement d’une telle fraternité : la reconnaissance d'un Père commun à tous, notamment dans les messages de la Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié délivrés chaque année. Le Magistère fonde ses interventions sur l'Écriture sainte, Ancien et Nouveau Testaments ensemble.

L’hospitalité envers l’étranger, un devoir sacré

L’importance de l’hospitalité est soulignée à de nombreuses reprises dans les textes du Pentateuque (ou Torah, les cinq premiers livres de la Bible). Le point de départ de ces récits qui relatent la nécessité d’accueillir l’étranger est constitué par la double péricope du Chêne de Mambré (Gn 18,1-15) et de la destruction de Sodome
(Gn 19,1-38) : Abraham offre son hospitalité à trois voyageurs étrangers, qui se révèlent être trois anges du Seigneur qui confirme la promesse faite par Dieu à Abraham et Sarah que cette dernière enfantera.

les habitants de la ville de Sodome étaient pécheurs car, tout en respectant la Loi et le culte, ils négligeaient la plus élémentaire hospitalité aux étrangers.

Le passage continue ensuite sur l’échange entre Abraham et Dieu au sujet de Sodome. La tradition juive retient que les habitants de la ville étaient pécheurs car, tout en respectant la Loi et le culte, ils négligeaient la plus élémentaire hospitalité aux étrangers. D’autres passages bibliques rappellent au lecteur le devoir d’hospitalité. Dans le livre de Job : "Jamais un étranger ne passait la nuit dehors, ma porte restait ouverte au voyageur." (Job 31, 32) ; dans le livre d'Isaïe 58, 6-7 :
"Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ?

En écho à Gn 18 (les chênes de Mambré) également, Jésus enseigne que l’hospitalité constitue un devoir qui distingue "les justes" des "maudits" (Mt 25,35-46).

 

Qui est l’étranger dans la Bible ? Une figure ambigüe

Les pages bibliques sont riches de femmes et d'hommes qui nous parlent aujourd'hui de la relation à l'autre, de celui qui est différent et qui est bien notre prochain. Ils s'appellent Ruth, Cyrus, Hagar, Naaman, Lydie, Corneille… ils sont samaritains, araméens ou grecs ; ils représentent l'Égypte, l'empire perse, Rome ou Babylone ; ils sont d'humbles paysans ou des notables dans leur patrie… Tous se rencontrent dans les récits bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testaments.

Que nous disent-ils de l'étranger ? Ami ou ennemi ? Frère ou adversaire ? Qui est l'étranger de l'autre ? Pourquoi y-a-t-il dans l'Histoire du peuple de Dieu des textes xénophobes et combien de textes xénophiles les contredisent?

Les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament au contraire montrent différentes facettes de la figure de l’étranger, tour à tour« menaçant » et « figure de Dieu »

L’étranger dans la Bible est loin d’être présenté uniquement comme ce pauvre à accueillir. Les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament au contraire montrent différentes facettes de la figure de l’étranger, tour à tour« menaçant » et « figure de Dieu ».

Jacques-Benoit Rauscher rappelle une typologie des figures de l’étranger dans la Bible dans Les frontières d’un discours. Les papes et l’accueil de l’étranger (Cerf, 2024).

Nous retrouvons ainsi :

  • La figure de l’étranger-pauvre : en vertu de la règle de l’hospitalité, commune aux peuples de l’Orient ancien, l’étranger est accueilli car il se trouve dans une situation de pauvreté. Non nécessairement économique, mais il est pauvre dans la mesure où il est isolé, loin de chez lui, et donc plus fragile. Sur cette figure, les règles sur l’accueil de l’étranger sont clairement explicitées dans le livre de l’Exode : « Tu ne molesteras pas l’étranger ni ne l’opprimeras, car vous-mêmes avez été étrangers dans le pays d’Egypte. Vous ne maltraiterez pas une veuve ni un orphelin. Si tu le maltraites et qu’il crie vers moi, j’écouterai son cri ;ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée : vos femmes seront veuves et vos fils orphelins » (Ex 22, 20-23). Les lois concernant l’accueil de l’étranger et du pauvre servent de base à tout le système législatif !
  • La figure de l’étranger-menaçant : la seconde figure biblique de l’étranger vient contredire cette première figure, et permet de dépasser l’idée d’une hospitalité inconditionnelle. L’étranger est aussi présent dans l’Ancien Testament sous le signe d’un danger, en ce qu’il menace la stabilité du peuple élu (interdiction d’épouser une étrangère etc.) La frontière entre hébreux et nations païennes reste claire !
  • La figure de l’étranger-riche : l’étranger est porteur d’une richesse spirituelle dont l’Israélite doit s’inspirer : ainsi Moïse se laisse conseiller par son beau-père Jethro, un homme d’une autre tradition religieuse que lui, sur l’organisation de la vie politique.
  • La figure de l’étranger-icône : l’étranger apparaît comme une icône (soit une image) de la représentation du peuple d’Israël à Dieu. L’étranger vient rappeler à l’hébreu son histoire, mais aussi son présent en ce qu’il est lui-même « étranger », hôte sur une terre quine lui appartient pas mais qui appartient à Dieu. L’étranger est une icône également, car à travers l’étranger se manifeste Dieu. Et là nous nous nous référons aux épisodes de Sodome et Gomorrhe, où l’étranger demandant asile à Loth n’est autre que l’ange du Seigneur (cf. Gn 19, 1-38)

 

Ces quatre figures vont irriguer le Nouveau Testament, mais dans un registre toutefois légèrement différent. Jacques-Benoit Rauscher nous dit que les textes évangéliques nous présentent davantage l’étranger comme « icône », représentant la relation à Dieu, plutôt que l’étranger comme « richesse » ou « menace » (davantage présents dans l’Ancien Testament).

Les écrits du Pentateuque s’inscrivent en effet dans un but davantage politique : le peuple hébreu confronté aux autres nations se retrouve dans l’obligation de se positionner face à l’étranger. Tandis que dans le Nouveau, l’accueil de l’étranger est rattaché à la vocation universelle de l’Eglise, et à sa mission. Le discours sur l’étranger est tenu comme moyen de penser la relation à Dieu.

Les textes évangéliques nous présentent davantage l’étranger comme « icône », représentant la relation à Dieu, plutôt que l’étranger comme « richesse » ou « menace »

Ainsi, dans Mt 25, 35 Jésus-Christ dit à ses disciples qu’ils l’accueillent Lui-même lorsqu’ils accueillent l’étranger. Lorsqu’au printemps de l’an 30, le Christ dit à ses apôtres : « Allant, par toutes les nations, faites des disciples » (Mt 28, 19), cela signifiait : l'annonce de l'évangile ne peut être limitée au peuple juif, elle concerne les Parthes, les Mèdes, les Élamites… (Ac 2, 9), tous ceux qui sont sous le ciel, même s'ils sont loin de partager nos rites religieux et nos coutumes. Ce regard de foi et de charité prend racine dans une théologie de la Création et de l’Incarnation qui va de pair avec l'accueil et le fait de prendre soin de l'autre, même s’il nous est inconnu. N'est-ce pas ce que Jésus donne à entendre avec la parabole du "Bon Samaritain" (Lc 10, 29-37), lui, l'étranger honni qui n'a pas hésité à faire de l'étranger son prochain, qui a placé sa compassion avant toute autre considération ethnique ou
économique ?

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