MAGAZINE INTERNE -

L’espérance des Bernardins, par Philippe Haddad

Publié le
9/10/2023

Cher Collège des Bernardins,

Permets-moi d’exprimer quelques pensées sur toi, et sur ce que tu représentes pour moi.

Quand la Bible parle de la Maison de Dieu, elle se réfère au Temple de Jérusalem, Beth YHWH. Nous pensons aux cultes sacrificiels, remplacés depuis, heureusement pour les moutons, par la prière du cœur (âvodat halev). Mais n’oublions pas que le Temple fut aussi un lieu d’étude. Les saducéens, les pharisiens, Jésus y enseignaient dans des salles ouvertes au tout venant, ou dans des endroits de l’esplanade sous un doux soleil, et chacun selon sa lecture particulière.

A propos du verset : « Et voici les lois sociales (michpatim) que tu (Moïse) placeras devant eux (les enfants d’Israël) » (Ex 21, 1). Rachi rapporte : « Pourquoi les lois sociales font-elles immédiatement suite à celles relatives à l’autel (mentionnées à la fin du chapitre précédent) ? Pour t’enseigner que tu devras installer le Sanhédrin près du sanctuaire. » (Midrash Chémoth Rabba). Certes le Sanhédrin, rappelle de triste mémoire, le procès de Jésus, par les saducéens. Mais il fut d’abord l’héritier de la Grande Assemblée qui fonda les principes de la tradition orale (torah chébéâl pé). Et à la destruction du Temple en 70, il fut repris par les Rabbis qui développèrent leur approche plurielle des textes prophétiques.

Notre espérance, pour toi cher Collège, en tant qu’enseignant du judaïsme est de voir les enfants de nos enfants rester fidèles à ton esprit. Les parents espèrent, les enfants bâtissent.

Dans le judaïsme, nous revenons toujours à l’étude, au Talmud Torah « qui se situe face à toutes les mitsvoth. » (Mishna Péa 1, 1).

L’être juif dans sa foi vit sur un triptyque : l’étude, la prière, les œuvres de charité (Avoth 1, 2) ; mettant tout particulièrement en dialectique la prière et l’étude. Prier le Père et étudier Sa parole.

Rabbi Nahman de Braslaw, maître hassidique, demandait d’étudier ce que l’on prie et de prier ce que l’on étudie.

Ainsi peut se comprendre l’irruption du Notre Père au cœur du sermon sur la Montagne selon Matthieu. Jésus enseigne, il prie, en nous y invitant (il récite son Kaddish), et il reprend l’étude, en attendant la prochaine liturgie.

Cher Collège des Bernardins, tu as comblé le manque sous l’impulsion de Mgr Jean-Marie Lustiger, que son souvenir soit bénédiction.

Longtemps le monde catholique a semblé manquer d’étude. La prière était là, fervente, sincère ; les œuvres de charité, bien sûr, nous devons à l’Eglise le développement de tant d’institutions caritatives, de par le monde. Mais l’étude ? Avant la grâce du Concile Vatican II, le catholique lamda pouvait-il seulement posséder une Bible ? Quel chemin parcouru ! 

Cher Collège des Bernardins, tu as comblé le manque sous l’impulsion de Mgr Jean-Marie Lustiger, que son souvenir soit bénédiction. Aujourd’hui des hommes et des femmes de l’Eglise étudient la Torah, les Prophètes, le Midrash, le Talmud, en plus des Evangiles. Ils font crier les pierres comme dirait Jésus.

La maison de Dieu se trouve où Son nom est proclamé, à Jérusalem, à Rome ou à Paris. Comme les deux chérubins de l’arche d’Alliance, juifs et chrétiens se côtoient visage à visage (panim el panim), apprennent à se connaître, à s’apprécier, faisant tomber réciproquement les poncifs qui ont la vie dure.

Bernardins. Bernard, Bar Ner « enfant de la lumière » que nous sommes appelés à devenir, chacun.e, au creuset de nos amours partagés.

Notre espérance, pour toi cher Collège, en tant qu’enseignant du judaïsme est de voir les enfants de nos enfants rester fidèles à ton esprit. Les parents espèrent, les enfants bâtissent.

Bernardins. Bernard, Bar Ner « enfant de la lumière » que nous sommes appelés à devenir, chacun.e, au creuset de nos amours partagés.  

Dans l’espérance de la paix, ici et partout…

P.H