#
Philosophie

La vérité est-elle obsolète ?

Publié le
5/7/23

Relativisme, fake news, post vérité… L’idée de vérité universelle valable pour toute l’humanité n'est pas une évidence. La vérité serait-elle obsolète, dépassée ? Matthieu Villemot la revendique en tant que valeur universelle. La vérité ne serait pas un système rigide, mais un travail permanent nourri par le dialogue.

No items found.

À chacun sa vérité ?

Des mouvements comme le relativisme, le culturalisme, les mouvements identitaires, ou sous une forme radicale le woke, affirment que chaque groupe ethnique, chaque religion, chaque communauté sexuelle a sa vérité et que c’est déjà lui faire violence que d’essayer de lui en imposer une autre.

Pour donner un exemple entre mille, Dominique Venner, le fondateur du GRECE qui s’est suicidé à Notre-Dame pour protester contre la loi Taubira, écrivait ceci : « Chaque peuple a sa vérité et ses dieux, également respectables ». Des femmes afro-africaines se font exciser pour retrouver leurs racines, deux jeunes femmes musulmanes, en l’absence de leurs familles, ont défendu devant l’auteur de ces lignes leur droit d’être la 2ème ou 3ème épouse d’un homme si ça leur chante. Il y a une déclaration arabe  et une déclaration islamiste des droits de l’homme.

Il n’y aurait donc plus « d’être humain », plus de « nature humaine ».

C’est par exemple ce qu’a affirmé l’écrivain Jérôme Leroy dans Causeur le 4 février 2014. Ces idées sont d’origine judéo-chrétiennes, donc colonialistes. Certaines féministes veulent même abolir la démocratie, fondée par et pour les hommes. Certains étudiants catholiques en philosophie se targuent de n’étudier que Saint Thomas d’Aquin, puisque lui seul « garantit » de rester catholique.

La nécessaire autocritique de la vérité

Tout n’est pas faux dans ces affirmations. Il est vrai que la culture occidentale a largement été pensée par des hommes pour des hommes, que les blancs, dans leurs colonies, ont volontairement saccagé des cultures dont nous redécouvrons aujourd’hui la beauté et la pertinence. Il est exact que les démocraties ont voté à leur fondation des kyrielles de lois gravement misogynes. Mais ce sont les démocraties qui les ont ensuite abolies.

Enfin, il est certain que l’idée même de vérité universelle est née chez les Juifs et chez les Grecs. Il est incontestable qu’écouter l’autre, l’autre sexe, l’autre peuple, l’autre religion, au lieu de penser à sa place, est indispensable à une vraie paix et, pour les catholiques, à un vrai service du pauvre.

Il est incontestable qu’écouter l’autre, l’autre sexe, l’autre peuple, l’autre religion, au lieu de penser à sa place, est indispensable à une vraie paix et, pour les catholiques, à un vrai service du pauvre.

Une telle écoute demande du temps et de l’humilité. Nous avons l’esprit tellement engoncé de stéréotypes sur la femme, l’homosexuel, le juif ou le musulman. Il faut, disait Sartre, nous « casser les os du cerveau ».

L’avenir de la vérité : s’universaliser par le dialogue

Mais cela est possible. Par exemple, ce sont les jésuites qui ont rapporté en Occident les premiers exemplaires des livres philosophiques chinois, qui ont émerveillé Leibniz et tant d’autres. La vérité est vouée à s’universaliser. Benoît XVI, grand ennemi du relativisme, signalait que les vérités scientifico-techniques continuent à s’universaliser. Quand les terroristes islamistes nous attaquent pour défendre leur religion que paraît-il nous menaçons, ils utilisent nos avions qui volent largement grâce à nos brevets. Ceux qui répètent en bouclent que les GAFAM gouvernent le monde le « démontrent » par des posts sur Facebook. Les mêmes femmes occidentales qui expliquent qu’une Africaine a le droit de se faire exciser jugent indispensable que l’OMS, de plus en plus, conditionnent ses aides à l’adoption du planning familial, pourtant occidental de part en part.

Moins tragiquement, la globalisation oblige les cultures à se rencontrer et passer entre elles des compromis. De plus en plus, on trouve dans nos familles des gens de diverses origines nationales, ethniques, religieuses. Et si tout ce petit monde ne s’entretue pas, c’est bien que chacun a réussi à passer des compromis acceptables.

Enfin, il est absurde de regarder les cultures comme des forteresses imprenables. On sait aujourd’hui que la religion juive a été fortement influencée par ses voisines assyriennes et babyloniennes. Le christianisme est héritier d’un judaïsme largement imprégné déjà de philosophie grecque, dialogue qui ne cessera plus dans l’histoire de l’Église. Les médiévaux, à commencer par Saint Thomas d’Aquin, ont lu les philosophes juifs et arabes et en ont tiré grand fruit. La chose continue et continuera.

Il y a quelques années, l’OMS elle-même avait lancé un grand programme d’évaluation des médecines traditionnelles africaines pour distinguer en elles ce qui marche de ce qui ne marche pas. Tout cela, ce sont des biais par lesquels la vérité s’universalise. Mais ce faisant, comme le savait déjà Socrate, elle s’universalise par le dialogue et non par la force.

Tout cela, ce sont des biais par lesquels la vérité s’universalise. Mais ce faisant, comme le savait déjà Socrate, elle s’universalise par le dialogue et non par la force.

Enfin, la vérité ne sera pleinement elle-même, pleinement universelle, qu’à la fin des temps. D’ici nul, pas même l’Église catholique, ne peut prétendre la posséder toute entière.

No items found.