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Art et Culture

René Girard, lecteur de l’écriture

Publié le
4/10/23
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Le 15 décembre 2023, le Collège des Bernardins célèbre le centenaire de l’anthropologue René Girard, titulaire, il y a 15 ans, de la première chaire de recherche des Bernardins. Lors de cette journée parrainée par l’Académie française, chercheurs et musiciens honoreront la mémoire de cet incontournable penseur du sacré. Entretien avec Marie Girard, présidente de la Société des amis de Joseph & René Girard et petite-nièce de René Girard.

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De la critique littéraire à l’anthropologie puis aux Evangiles, le parcours de René Girard est atypique. Quel lien entretenait-il avec les Ecritures ?

Il sait que ce ne sont pas les sciences – dans l’acception classique du terme, les sciences universitaires à la française -, qui lui donneront "le sens" face aux grandes transformations contemporaines. Mais avant de s’intéresser aux Ecritures, c’est l’écriture avec un -e minuscule qui fascinait René Girard : il est un penseur du récit, un penseur de la façon dont les hommes se racontent leur propre violence.

Toute son œuvre conduit à la Bible et au Nouveau Testament. Il refusait le titre de théologien mais il a dialogué toute sa vie avec eux

Son analyse anthropologique des Evangiles, c’est à travers les outils et techniques que lui offre la critique littéraire qu’il la développe. Sa démarche scientifique d’anthropologue est étroitement encadrée ; d’un côté par sa lecture des romans - Cervantès, Flaubert et Dostoïevski - ; de l’autre par celle de la Bible et des Évangiles. Sa rencontre avec la foi, il la doit avant tout à son itinéraire intellectuel.

Est-ce rendre hommage à son œuvre que de lui permettre d’entrer en dialogue avec des théologiens ?  

Oui, car l’œuvre de René Girard ne se résume pas au désir mimétique, au bouc émissaire ou à la violence. Toute son œuvre conduit à la Bible et au Nouveau Testament. Il refusait le titre de théologien mais il a dialogué toute sa vie avec eux, en particulier avec le père Raymund Schwager qui l’a aidé à affiner sa pensée sur la question du sacrifice.

Quelle est l’ambition à l’origine de la programmation de cette journée ?

Nous avons souhaité « sortir » René Girard des catégories dans lesquelles nous avons tendance à l’enfermer. Comme tout homme de génie, René Girard a des disciples et des inconditionnels ; mais pour qu’une œuvre telle que celle de René Girard vive, il est indispensable qu’elle sorte de ce cercle restreint, qu’elle soit travaillée, critiquée, prolongée.

Son travail intellectuel fut le lieu de sa conversion spirituelle

Le but de cette journée est de faire se rencontrer des personnes qui ne sont pas nécessairement reconnus comme « girardiens » mais qui ont pourtant lu René Girard et s’en inspirent dans leur travail. Je pense au Père Janthial ou à Félix Resch qui dirige l’organisation de la journée de colloque.

Un concert de l’orchestre national d’Avignon et du quatuor Girard est proposé en ouverture de la journée du 15 décembre. N’est-ce pas là aussi une façon de permettre au public d’apercevoir un autre visage de René Girard ?

René Girard est un penseur des origines de la culture. Il y a dans son œuvre de magnifiques passages sur la vertu cathartique de la musique et de la danse. Il n’est pas que le penseur de la violence ; avec ce moment musical unique nous avons souhaité honorer l’homme qu'il fut, sa personnalité.

Fait très rare si ce n’est unique dans l’histoire de la musique, un quatuor à cordes dialoguera avec un orchestre symphonique.

Penseur de l’Apocalypse, dit-on, on voudrait en faire un prophète de la catastrophe et du malheur. C’est mal le connaître et cette vision de sa personnalité pourrait conduire à beaucoup de contre-sens quant à l’interprétation de son œuvre. Ni austère, ni triste, ni angoissé, il était surtout extrêmement drôle, mélomane et savait goûter aux belles et bonnes choses de la vie.

Un moment musical « unique » ?

Oui car au cours de ce concert sera créée une œuvre musicale spécialement dédiée à René Girard : la Société des amis de Joseph & René Girard a passé une commande au jeune compositeur Charly Mandon.

L’œuvre de René Girard ne se résume pas au désir mimétique, au bouc émissaire ou à la violence.

Fait très rare si ce n’est unique dans l’histoire de la musique, un quatuor à cordes dialoguera avec un orchestre symphonique. Elle racontera, sous forme d’un poème symphonique, les diverses étapes de l’émergence de la paix et de la culture au sein d’une communauté humaine.

Cette année nous célébrons aussi les 15 ans de la réouverture du Collège. Il y a 15 ans dans la nef, le pape s’adressait au monde de la culture et soulignait l’importance de lieux dédiés à la recherche de Dieu.
« Chercher Dieu et se laisser trouver par lui », n’était-ce pas aussi la quête de René Girard sa vie durant ?

Son travail intellectuel fut le lieu de sa conversion spirituelle. Toute sa correspondance avec le Père Schwager est un long commentaire de ses lectures religieuses : de Saint Augustin à Joseph Ratzinger en passant par Saint Thomas. Il lui écrit en 1986 : « Je pense beaucoup à toi et à tout ce que représente ton amitié pour moi. Une fois terminé mon Shakespeare qui est en quelque sorte un livre dédié à ma vie universitaire dans l’univers anglophone, je n’écrirai plus que sur des problèmes religieux. Mais je me sens vieillir ! ».

En réalité, il lui restait près de trente à vivre qu’il passa avec une Bible sur sa table de chevet.

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