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Art et Culture

Calligrammes, de l'esprit à la lettre

Publié le
2/10/23

Par ses calligrammes, l’artiste Cécile Chiron nous invite à « voir les textes » et leur offre une nouvelle vie. A l'occasion du quinzième anniversaire de la réouverture du Collège des Bernardins, elle réalise le calligramme du Discours au monde de la culture de Benoît XVI et expose dans l'ancienne sacristie du Collège. A lire, son échange avec Eric Morin, aujourd'hui directeur de l'Ecole cathédrale, qui, il y a quelques années, l'initia à l'Ecriture Sainte dans le cadre de l'ISSR. Quel chemin parcouru depuis !

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Pourquoi le calligramme ?

Cécile Chiron : J'ai commencé à créer des calligrammes à la fin de l'année 2019 après des études d’ébénisterie et une expérience au sein d’une librairie spécialisée dans les livres anciens. A vrai dire, le calligramme s’est un peu imposé à moi, ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi. Si curieux que cela puisse paraître cette trajectoire – ébénisterie, librairie, calligramme – revêt une certaine logique : le calligramme conjugue l’amour du geste de la main, qui m’avait orienté vers l’ébénisterie, et mon goût des lettres. Je le perçois comme la clé d'un mystère qui habite ma vie depuis que j'ai appris à écrire.

"Plus que d’offrir un texte à lire je souhaite offrir un texte à voir, à sentir, un texte qui, le temps d’un regard, se révèle, au-delà des mots, et éprouve l’âme". Cécile Chiron

J’ai cherché à écrire à tâtons toute sorte de choses pendant deux décennies pour réaliser que j'étais avant tout attirée par le geste de l'écriture : mes calligrammes n’ont d’ailleurs pas vocation à être lus, ils sont même parfois peu lisibles (sourire) ! Plus que d’offrir un texte à lire je souhaite offrir un texte à voir, à sentir, un texte qui, le temps d’un regard, se révèle, au-delà des mots, et éprouve l’âme.

Père Eric Morin, vous retrouvez avec cette exposition une ancienne étudiante ; mais les rôles semblent avoir évolué : aujourd’hui, n’est-ce pas Cécile qui vous enseigne ?

E.M. Je redécouvre grâce au travail de Cécile des textes qui m’étaient pourtant familiers. Son Jonas par exemple : en une image - celle d'un bateau-, surgit une nouvelle signification du livre de Jonas. Le calligramme m’a donné envie de relire le texte au prisme de la migration. Voici un bel exemple de tradition vivante.

"Le calligramme m’a donné envie de relire le livre de Jonas au prisme de la migration. Voici un bel exemple de tradition vivante". Eric Morin

C.C. C’est aussi cela que j’aime dans le calligramme : il n’impose pas, il ouvre et offre à chacun développer sa propre interprétation. Fenêtre ouverte sur nos héritages émotionnels, le calligramme laisse jaillir de nouveau sens au gré des regards et peut prendre des résonances très différentes d’une personne à l’autre.  J’aime ce rôle de « passeur », d’accoucheur : il me tient à cœur de rendre à nouveau fécond les textes qui m’ont forgée, de leur offrir une nouvelle vie. J’ai la conviction que certains textes seront éternellement renaissants.

Pour le Collège, vous avez « calligrammé » cet été quatre évangiles et appliqué à chacun un traitement esthétique particulier. Pourriez-vous s’il vous plaît revenir sur cette entreprise qui a nécessité plus de deux cents heures de travail ?

C.C. J’ai cherché à représenter à travers le calligramme une émotion, un sentiment, le goût que me laissait l’Evangile. Tout cela s’est fait de manière très intuitive. Mon approche du calligramme n’est pas intellectuelle. Je me laisse conduire par le geste ; ma main parfois trace les lettres en solitaire. C’est très reposant.

"Il me tient à cœur de rendre à nouveau fécond les textes qui m’ont forgée, de leur offrir une nouvelle vie. J’ai la conviction que certains textes seront éternellement renaissants." Cécile Chiron

Avec Saint Jean, je voulais quelque chose de sacré, j’ai choisi la couleur bronze et cherché à représenter un mouvement vers l’extérieur, une sortie de soi en laissant le centre en blanc. Saint Marc est presque sanglant. Au centre, les mots se sont superposés, l’encre s’est accumulée jusqu’à obtenir un cœur très rouge, dense et saturé, qui nous pousse vers l’extérieur. J’ai voulu traduire la violence de la passion et l’élan.

"J’ai cherché à représenter à travers le calligramme une émotion, un sentiment, le goût que me laissait l’Evangile". Cécile Chiron

Matthieu et Luc répondent à Marc et Jean avec des couleurs plus proches de l’eau et de la nature. Je les ai travaillés tous les quatre ensembles et j’ai pris beaucoup de plaisir à les voir accrochés côte à côte sur les murs de l’ancienne sacristie du Collège, dialoguant au dessus de la tombe du moine Gunther !

E.M. De façon intuitive Cécile associe aux Evangiles un sentiment, à travers son travail, elle donne de « l’esprit » à la lettre. Une lecture attentive de Jean ne manque pas de voir que c’est un texte qui parle de lumière et de manifestation. Quant au texte de Marc, il propose d’entrer dans l’intimité entre Jésus et son Père et expose la violence d’un refus.

Vous parlez du calligramme comme d’une rencontre…

C.C. Lorsque je crée j’entre dans une temporalité particulière, lente. Je ne suis pas dans celle du lecteur mais dans celle de l’écrivain. Je trace les lettres après lui. J’ai presque le sentiment de partager son temps, son expérience de l’écriture initiale.

"Le travail de Cécile Chiron donne de « l’esprit » à la lettre". Eric Morin

Pour célébrer les 15 ans de la réouverture du Collège vous avez réalisé un calligramme du discours de Benoît XVI adressé au monde de la culture depuis la Nef du Collège il y a 15 ans. Qu’est-ce que cela fait de travailler sur un discours papal ?

C’est déstabilisant ! Ce n’est pas du tout le genre de texte sur lequel j’ai l’habitude de travailler. Je suis plus sensible à la poésie. Mais j’étais heureuse de le découvrir :  le pape y parle d'amour des lettres et de l’homme qui cherche à percevoir la Parole au milieu des paroles. Cela fait sens pour moi qui suis toujours à l'affût de la sagesse et cela m’a aidé à faire le lien entre amour des lettres et désir de Dieu.

Un auteur que vous aimeriez « calligrammer » dans les années à venir ?

Pierre Michon. Ses vies minuscules m’ont beaucoup touchée. Son écriture ciselée est magnifique. Je suis frappée par les récits intimistes et émouvants de toutes ces vies qui se croisent. Il y a chez lui une puissance de l’anecdote que j’affectionne terriblement.

"Créer le calligramme du discours de Benoît XVI m'a aidé à faire le lien entre amour des lettres et désir de Dieu". Cécile Chiron

Pour conclure, un mot sur vos activités après le Collège des Bernardins ?

Je m’envole direction le bassin d’Arcachon pour le salon du livre rare ! Je reprendrai la création en novembre, dans le cadre du festival "La science de l'art" où je collabore avec Thomas Pagesy, un artiste qui travaille sur L’IA. Thomas a fabriqué une intelligence artificielle qui prend la forme d'une machine capable de réciter des poèmes, et dont l'interaction avec les spectateurs lui permet de comprendre et apprendre ce qu'est la joie. La machine à travers son apprentissage produira des poèmes de plus en plus joyeux et je composerai un grand calligramme. Nous exposerons notamment à l'Opéra de Massy tout au long du mois de décembre.

Merci à chacun

Jonas
Saint Jean
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