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Écologie

Faire la paix avec la nature

Publié le
30/10/23
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Réconcilier humanité et nature : et si les réponses se trouvent dans notre histoire ? Face à l’inéluctabilité du réchauffement climatique, les générations actuelles, portées par l’urgence de la situation, oscillent entre l’action collective et le désespoir. Entre histoire environnementale et théologie, l’étude de séquences historiques de pacification avec la nature nous donne non seulement de mieux comprendre le conflit entre l’homme et la nature, mais également les motivations et moyens mis en œuvre pour renouer le dialogue avec le vivant. Jan Synowiecki, historien de l'environnement, éclaire les fondements historiques et religieux d’une exhortation plus que jamais actuelle : « Faire la paix avec la nature ».

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Comment le désir d’un retour à l’équilibre et d’une pacification avec la nature s’est-il manifesté à travers les époques ?

Tout d’abord, il me semble important de rappeler qu’aucune société n’a jamais vécu en harmonie avec la nature. Il a pu exister par le passé des sociétés ayant entretenu des relations plus ou moins homéostasiques avec le vivant, mais beaucoup d’entre elles, y compris pour celles relevant de l’ontologie animiste ou totémiste, au sens donné à ces catégories par Philippe Descola, ont altéré –parfois durablement – leur environnement.

Il y a des contextes historiques dans lesquels la nécessité de « faire la paix avec la nature » est apparue plus urgente, en particulier après des épisodes de conflits ayant mis à mal à la fois le corps social et l’environnement. 

Il y a cependant des contextes historiques dans lesquels la nécessité de « faire la paix avec la nature » est apparue plus urgente, en particulier après des épisodes de conflits ayant mis à mal à la fois le corps social et l’environnement (des guerres ou des guerres civiles).

C’est par exemple le cas à Rome, au tournant de notre ère, où le rétablissement de la paix et l’instauration d’un nouveau régime sont allés de pair avec une nouvelle esthétique dans laquelle les motifs végétaux – en particulier l’acanthe – ont occupé une place majeure, témoignant d’une « esthétique du cosmos » succédant à
l’« esthétique du chaos » pour reprendre les mots de l’historien Gilles Sauton.

Les pratiques de pacification avec la nature dans l’histoire n’ont pas seulement été le fait des élites, mais également celui des subalternes, auxquels l’histoire environnementale s’est longtemps attachée à (re)donner une voix

Les pratiques de pacification avec la nature dans l’histoire n’ont pas seulement été le fait des élites, mais également celui des subalternes, auxquels l’histoire environnementale s’est longtemps attachée à (re)donner une voix.

Le colloque "Faire la paix avec la nature" qui se tiendra à l'université de Caen Normandie ce 8-9-10 novembre s’intéressera par exemple aux pratiques ordinaires de paix avec la nature, notamment à travers les mouvements contemporains de « re-biologisation » ou de « re-territorialisation de l’agriculture ». 

Dans ce colloque, l’histoire environnementale dialoguera avec la théologie et l’anthropologie des religions. En témoigne l’intervention de Frédéric Louzeau et l’intitulé de la 2e session :« Dieu, les hommes, les femmes et la nature ». Pourquoi croiser ces approches ?

Le moment historique que nous traversons – que Bruno Latour préférait appeler « Nouveau régime climatique » plutôt que « crise écologique », car ce que nous vivons n’a rien d’une crise spasmodique appelée à se dissiper – nécessite une redéfinition des partages ayant régi l’organisation des savoirs depuis la fin du XIXsiècle.

Les différentes sciences humaines et sociales sont amenées à converger pour fournir de de nouveaux outils d’intelligibilité de notre situation contemporaine.

Cela suppose que la séparation entre les sciences de la nature et les sciences sociales n’a plus de pertinence pour penser l’Anthropocène. Mais il y a plus, les différentes sciences humaines et sociales sont amenées à converger pour fournir de de nouveaux outils d’intelligibilité de notre situation contemporaine.

Le dialogue entre l’histoire environnementale et la théologie n’est pas nouveau, et on pourrait même dire qu’il fut constitutif de l’émergence de la discipline. John Opie, l’un des premiers historiens de l’environnement états-uniens et fondateur de l’American Society for Environmental History en 1977, a obtenu un« bachelor of divinity degree » à l’Union Theological Seminary de New York, avant d’enseigner l’histoire des religions et de la Réforme.

Dans le séminaire de la chaire Laudato Si’ au Collège des Bernardins, Olric de Gélis a également bien montré que John Opie empruntait plusieurs termes renvoyant à la révélation – écrivant par exemple qu’il n’y a pas de secret dans les paysages.

Le dialogue entre l’histoire environnementale et la théologie n’est pas nouveau, et on pourrait même dire qu’il fut constitutif de l’émergence de la discipline.

Ce croisement que le colloque entend opérer entre l’histoire environnementale et la théologie et l’anthropologie des religions s’inscrit plus largement dans un regain d’intérêt – en particulier chez les antiquisants – pour les questions relatives à la cosmologie et à la composition des mondes, à l’articulation de l’immanent et du transcendant, du profane et du sacré.

En quoi les séquences historiques de pacification avec la nature nourrissent-elles l’espoir d’un retour à l’équilibre aujourd’hui ?

Faire la paix avec la nature suppose moins de revenir à un équilibre par définition toujours instable, ou à une nature originelle et matricielle que seuls les tenants de la deep ecology ou de la wilderness (nature sauvage) continuent de fantasmer.

Ces moments de pacification peuvent être une source d’inspiration non pour abolir les frontières entre humains et non-humains, comme pourraient le suggérer les antispécistes qui ne font que dupliquer les dualismes opposant les humains à la « nature », mais bel et bien pour promouvoir un nouveau type de diplomatie du vivant qui serait guidée par « la théorie et la pratique des égards ajustés » pour reprendre la belle expression de Baptiste Morizot.

Ces moments de pacification peuvent être une source d’inspiration non pour abolir les frontières entre humains et non-humains mais bel et bien pour promouvoir un nouveau type de diplomatie du vivant.

En d’autres termes, il s’agirait de penser la pluralité des formes de cohabitation multi-spécifiques où les non-humains auraient retrouvé leur agentivité, c’est-à-dire leur capacité d’action. Si l’histoire environnementale, pas plus que le militantisme écologique, n’a la capacité à parler en lieu et place des non-humains, elle peut comprendre comment, dans certaines configurations historiques, des autres qu’humains se voient doter d’un mode d’existence particulier, susceptible de redistribuer les cartes des partages traditionnels.

« Faire la paix avec les castors » : une piste pour réfléchir à une nouvelle diplomatie du vivant ? 

Dans le cadre de ma communication sur le commerce des fourrures en Nouvelle-France, j’emploie cette expression à propos de la surproduction de castors entre 1690 et 1715, qui fait baisser drastiquement ces populations animales.

La grille de lecture proposée par les Européens est souvent la suivante : les Indiens, de plus en plus soumis aux impératifs du marché que supposait la traite des pelleteries, auraient intensifié la chasse aux castors pour assouvir leurs besoins en eau-de-vie, cuivre et étoffes – des marchandises de traite à la valeur d’usage supérieure à ce qu’ils fabriquaient.

Le rapport au castor [des Indiens] est une belle métaphore des complexes relations au vivant qui se nouent à l’époque moderne.

Or, le concept de « surchasse », permettant de rendre compte du prélèvement d’une ressource qui, devenant structurellement excédentaire, dépasse les capacités de renouvellement et de régénération, ne s’applique pas systématiquement aux cosmologies amérindiennes. Si les Indiens reconnaissent « avoir détruit et mangé toute la terre », comme le rapporte Claude-Charles Le Roy Bacqueville de La Potherie, le sacrilège qu’ils commettent vis-à-vis d’un animal révéré ne peut se comprendre qu’en tenant compte de la possibilité d’une renaissance du gibier qui peut potentiellement être réactualisée par les rituels.

En effet, dans des sociétés animistes où l’abondance est étroitement liée à l’invocation d’un Manitou, où la destruction va de pair avec la régénération, et où les continuités entre les humains et les non-humains l’emportent, la surchasse n’est pas nécessairement perçue comme problématique. Ce rapport au castor est une belle métaphore de la complexité des relations au vivant qui se nouent à l’époque moderne.

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