Éthique biomédicale
Pour une vision intégrale de la personne
Anne Lécu a dirigé pendant deux ans le séminaire de recherche « Que vaut le corps humain ? » au sein du département de recherche Éthique biomédicale du Collège des Bernardins. Pour elle, la réflexion transdisciplinaire des praticiens du domaine médical contribue à préserver l’intégrité de la personne.
Aux origines du séminaire, la théologie pratique :
Le travail du département Éthique biomédicale s’inscrit dans la droite ligne de Laudato si’ et de sa manière de faire de la théologie une théologie pratique. Il part en effet de l’expérience de terrain des praticiens, majoritaires parmi les participants. Il tente de dégager les grandes questions sur l’avenir de notre société que posent les évolutions contemporaines.
Notre postulat est que l’homme, doué de raison, est capable de progresser en savoir-faire technique, mais aussi en vertu. Il nous est alors apparu primordial de promouvoir une forme de rationalité qui ne soit pas uniquement technique, mais nourrie de philosophie, de droit, et pourquoi pas de théologie, capable de dialoguer avec la technique.
À travers ce séminaire, nous abordons le défi le plus important auquel se confronte la médecine contemporaine : son rapport à la technique. Ces deux dernières années de recherche, nous avons travaillé sur les risques liés à la bioéconomie et sur la double notion de valeur du corps, incommensurable et marchande.
Que vaut le corps humain ?
Implants, autoconservation, commerce de cellules, d’ovocytes et d’embryons humains, généralisation des pratiques de greffes et de don d’organes : la bioéconomie est désormais une réalité.
Plus que jamais, le corps apparaît aujourd’hui comme un agencement de cellules, de gènes et de molécules qui formerait un capital. Une tendance qui pourrait s’accentuer avec les développements de la nanomédecine, de la médecine régénératrice et de la médecine personnalisée.
Ces évolutions rapidement décrites, largement acceptées, soulèvent notamment la question du respect de l’intégralité de la personne en son corps : comment intégrer le corps dans une vision intégrale de la personne ? Ne vaut-il pas mieux que le corps ne vaille rien ? Car séparé de la personne, il perd la valeur qui ne se traduit plus par une dignité, mais par un prix.
Le corps soumis à un morcellement analytique finit par être négligé, voire méprisé par rapport à l’esprit. La primauté de l’avoir sur l’être conduit à faire du corps lui-même un simple objet de consommation. Comme le rappelle Laudato si’ : en voulant transformer la nature comme si elle était un objet, c’est inévitablement l’homme qui risque d’être transformé en objet.
Une éthique chrétienne ?
Le séminaire ne cherchait pas à opposer les valeurs chrétiennes au développement technique, comme si l’Église devenait une sorte de contre-culture opposée à la culture ambiante. Bien au contraire, travailler sur la question « Que vaut le corps humain ? » conduit à critiquer la notion même de valeur. Car qui dit valeur, dit évaluation et évaluateur. Et celui qui défend des valeurs est toujours prompt à se placer lui-même à la place de l’Absolu qui évaluerait les valeurs ! La question que l’Évangile nous invite à poser et qui est reprise par chaque génération débouche sur une critique du temps présent au sens philosophique du terme : qu’est-il en train de nous arriver ? comment l’homme en est-il affecté ?
La question théologique de fond est indéniablement celle de l’incarnation. L’éthique est sans doute la possibilité d’habiter le monde, or le monde est habitable tant que l’homme reste libre, tant qu’il peut ne pas. Cependant, l’air du temps ressemble curieusement à l’époque gnostique. La technique a quelque chose du destin, elle nous met sur des rails dont nous avons bien du mal à imaginer comment sortir. Nous ne pouvons plus ne pas.
En régime chrétien, l’éthique ne peut être qu’eucharistique. Elle n’est pas d’abord un jugement entre ce qui serait bien et ce qui serait mal, elle est un style de vie qui se veut remerciement pour les dons reçus et engagement pour que d’autres en bénéficient. Et cela change tout.
Anne Lécu - Religieuse dominicaine, théologienne, docteure en philosophie et médecin à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
Pour aller plus loin
UN NOUVEAU SÉMINAIRE SUR L’ÉTHIQUE BIOMÉDICALE EN 2020
« La médecine confrontée aux limites », c’est le titre du nouveau séminaire du département d’éthique biomédicale du Collège des Bernardins, dirigé par Véronique Lefebvre des Noettes et par le père Brice de Malherbes. À partir de janvier 2020 et jusqu’en juin 2021, médecins, théologiens, philosophes, économistes et juristes interrogeront les limites de la médecine face aux illusions d’une toute-puissance technique.